Sur le site de la bibliothèque départementale de la Manche, un article et une playlist (de 14h15’57 ») autour des créatrices sonores. C’est ici.
/ 3 : des femmes qui tiennent la route
Je suis pour trois jours chez Aude Rabillon, que j’observe dans son quotidien de créatrice sonore et avec qui j’ai des discussions très riches (ce qui ne nous empêche pas, comme à la Factorie avec les poètes, de faire une boum le soir avec son fils de 7 ans). Hier, elle profitait de ce que le Musée des Arts était fermé pour choisir la salle où, le 3 mars, elle jouera en duo avec la violoncelliste Soizic Lebrat (qui figure également dans mon répertoire de créatrices sonores). Je les ai donc suivies dans le musée désert et, tandis qu’elles testaient l’acoustique des salles, j’en profitais pour entendre de très belles choses. Je me sentais très privilégiée…
Cette salle, parce qu’elle est dévolue à l’art contemporain, nous semblait plus appropriée que les salles plus classiques mais, la soufflerie n’émettant pas sur la même fréquence que leur duo, elle l’aurait ruiné.
Nous avons plaisanté sur le fait qu’il faudrait inverser les collections, la salle finalement retenue étant très classique mais aussi et surtout très masculine, et Claire a dit « Quand même, il y a des femmes qui tiennent la route – regardez, Vénus… » Ce qui a naturellement achevé de nous convaincre.
Un atelier
Cette année, je fais écrire des collégiens de Roubaix ; la première séance a eu lieu hier et il ne s’agissait pas (comme le dit le post Instagram ci-dessous) de faire écrire des « paysages états d’âme » mais il se trouve que les élèves avaient travaillé à partir de cette consigne deux jours plus tôt avec leur professeure, de sorte que j’ai eu la surprise de découvrir plusieurs textes débutant par « Demain, dès l’aube » alors même que je leur avais demandé d’écrire à partir d’extraits musicaux que j’ai diffusés, tous aussi éloignés que possible de Victor Hugo.
Une élève a fait remarquer à l’un de ses camarades qu’il y avait trop de répétitions dans le texte qu’il venait de nous lire. Je lui ai répondu qu’au contraire, la répétition créait une prosodie très intéressante. « Mais quand on fait des répétitions, les profs les soulignent, a protesté la jeune fille. Vous allez me perdre, Madame ». J’ai d’abord beaucoup ri mais ensuite j’ai mesuré la difficulté de faire sentir les subtilités de la répétition poétique à des jeunes gens qui ne lisent pas (et encore moins de la poésie, et encore moins de la poésie contemporaine) alors même que de nombreux essais très sérieux traitent du sujet sans épuiser la question. Les limites d’un atelier d’écriture se manifestent dans ce genre de moment : la poésie écrite par des non-lecteurs ne peut être que ludique, basée sur des trucs et des gimmicks à imiter, mais on est frustré de la voir ainsi réduite à un gadget, un dispositif à générer du texte sans que le fond soit forcément très consistant et sans que l’élève ait exprimé quelque chose qui lui tient vraiment à cœur. Je suis en pleine réflexion sur la manière de procéder à l’avenir, l’année me réservant encore quelques ateliers avec des jeunes gens.
Souvenirs de la Factorie
Merci infiniment à Erwan Gourhant et à Marie Gautier pour ces très belles photos qui restituent parfaitement l’atmosphère de la Factorie. Ci-dessous, deux images d’un atelier d’écriture mené par Catherine et auquel Anna et moi avons participé, mercredi dernier. D’abord, un peu de méditation poétique,
puis un partage de lectures.
Et maintenant, quelques photos du grand soir, jeudi dernier, soirée de clôture d’une résidence inoubliable. D’abord, ma performance solo, quelque peu éprouvante – il y est beaucoup question de sangliers (tout comme dans celle de Maud).
Et surtout, notre final surprise, lecture des textes écrits collectivement le samedi soir précédent. Avec, de gauche à droite autour de moi, Emanuel Campo, Maud Thiria, Jean d’Amérique, Anna Serra et Catherine Barsics. Ils me manquent beaucoup. Amour éternel, les ami(e)s…
Eulalie hors série
On y trouve ce mois-ci un double portrait d’Emmanuelle Polle et moi-même, à l’occasion de notre résidence croisée entre les Hauts-de-France (AR2L) et la Normandie (Normandie Livre et Lecture), ainsi que notre texte à quatre mains, Cette sacrée rotondité. Vous pouvez le lire ici, pages 14 à 17.
Creil
C’est samedi prochain à 15h30, je vais passer ma journée sur les rails parce qu’il y a un changement à Paris (wtf) alors vous avez intérêt à venir nombreux et nombreuses et avec des cadeaux (vegan svp).
Val-de-Reuil
Vous êtes nombreux.ses à me réclamer le National Géo que je vous ai promis avant mon départ pour la Factorie. Le voici : après VdA, je vous présente VdR, autre ville nouvelle qui en diffère essentiellement par la densité. Selon le comparateur de territoires de l’Insee (qui est un super outil) :
Population | Val-de-Reuil (27701) | Villeneuve-d’Ascq (59009) |
Population en 2018 | 13 114 | 62 727 |
Densité de la population (nombre d’habitants au km²) en 2018 | 512,3 | 2 284,3 |
Superficie en 2018, en km² | 25,6 | 27,5 |
On note une moins grande diversité de paysages urbains à VdR qu’à VdA mais un nombre important de points communs. Pour reprendre les catégories utilisées dans mon étude de VdA, on trouve à VdR :
De la campagne
Soit une ferme que vous avez entrevue ici, des lacs et des étangs, dont l’un est une réserve ornithologique, vue là,
Du style
dont voici un précipité : l’ancien théâtre, devenu la maison des associations – on y trouve encore un cinéma.
Face à la piscine, dont le toit est amovible, la police municipale fait une excroissance sur une résidence.
Comme à Pont de Bois (VdA), beaucoup de cheminements piétonniers se font en hauteur, à angle droit des dessertes automobiles.
Ce qui nous amène à la catégorie Des chemins, des passerelles (pas de tunnels ici)
De l’habitat
un peu moins varié qu’à VdA mais certains bâtiments semblent en être tirés avec une pince à sucre et posés là :
Ci-dessous, une immense résidence désaffectée en plein centre de la ville, dont voici un détail – le style m’évoque un peu le Blosnes à Rennes.
L’écoquartier tout neuf. Un jour, ce que j’ai supposé être le community manager de la municipalité y tournait un reportage tandis que je passais par là et m’a demandé s’il pouvait me filmer de dos « pour que ça fasse un peu de vie ». Le plus marquant, dans les deux villes certes mais surtout à Val-de-Reuil, c’est l’impression de ville fantôme qui ressort des rues désertes. Même autour des petits centres commerciaux, un sentiment de profonde solitude noue le ventre.
Ci-dessous, une image fait écho à une autre, prise à VdA, que j’insère à la suite en miniature, pour mémoire.
Ce parfum d’été nous amène à l’un des quelques California Dreamings que j’ai relevés au cours de mes promenades et nous permet d’aborder l’habitat pavillonnaire. Des lotissements de toutes les époques sont juxtaposés.
Ils côtoient aussi de rares vestiges (bien plus rares qu’à VdA) de l’ère agricole.
De l’art
aux couleurs primaires et aux formes régressives, dans un pur style VdA.
J’attirais l’attention d’Anna sur cet aspect de la ville, l’autre jour, alors que nous passions devant la sculpture ci-dessous ; j’ai employé l’expression art contemporain et elle a demandé si je parlais de ça. « Ce n’est pas très beau », a-t-elle ajouté prudemment, de peur que je ne sois sensible à cette forme d’art municipal, et de me froisser.
Ce qui nous a beaucoup amusé, mes autres camarades et moi, le jour de notre arrivée, c’est ce qui fait défaut à VdA : des ronds-points carrés ou en losange.
Un petit Upper rooms & kitchens s’impose enfin
Malgré ses nombreuses similitudes avec VdA, je ne pense pas que je me serais passionnée pour les villes nouvelles si je les avais découvertes à travers VdR (ni à travers Saint-Quentin-en-Yvelines, visitée cet été). Villeneuve-d’Ascq reste l’une de mes villes fétiches avec tous ses contrastes et ses passages secrets, une ville nouvelle qui n’est pas déprimante et qui recèle bien des surprises. Je poursuivrai ce comparatif de territoires très personnel à l’occasion.
encore de la danse
J’ai tellement dansé à la soirée de clôture de notre résidence à la Factorie que j’ai des ampoules sous les orteils (j’avais chaud, je dansais pieds nus) et des courbatures dans les mollets (comme s’ils n’étaient pas assez entretenus : qu’est-ce qu’il leur faut ?) Faute d’images d’hier, cette photo prise par Charlène la semaine dernière, sur laquelle Erwan, Anna et moi dansons dans le hall de la Factorie, notre bar QG du soir. La musique est Claim It! de Klein.
Je dois à Catherine Barsics d’avoir découvert Michele Gurevich – un soir, toute la petite bande a dansé sur le titre Party Girl. Découvrant la vidéo de Lovers Are Strangers, à l’instant, je suis à la fois émue et amusée, à l’idée qu’un jour peut-être nous ressemblerons à ces beaux danseurs et belles danseuses lors de l’édition 2053 des Poètes n’hibernent pas.
Je reviendrai sur la soirée de clôture quand la Factorie m’aura fait parvenir des photos. Après que les quatre univers / voix si dissemblables de Maud Thiria, d’Emanuel Campo, de Jean d’Amérique et de votre serviteuse se sont succédé, nos amies Catherine Barsics et Anna Serra nous ont rejoints pour un final surprise. Nous avons lu à six voix les textes que nous avions écrits ensemble la semaine dernière. C’était très émouvant. D’autres poètes encore se trouvaient dans la salle, Laure Gauthier, Mélanie Leblanc, Ada Mondès et Jérémie Tholomé, mais aussi Marie Nimier, que je n’avais pas vue depuis 2018 à Nevers Tandem et que j’étais stupéfaite de voir apparaître à la Factorie. Il a fallu beaucoup danser pour assimiler tant d’émotions et, pour dire au revoir à mes ami(e)s, les serrer beaucoup dans mes bras, espérant garder un peu d’elles et d’eux pour la route.
Montage photo d’Emanuel : reflets de Maud et moi sur les vitres de la salle Rrose Sélavy pendant nos lectures respectives.
there is darkness
Ce matin, pour la dernière fois, je suis dans la salle Rrose Sélavy de la Factorie quand mes camarades, mes amis, dorment encore, afin de pouvoir lire fort et sans retenue mon journal de résidence et lui apporter les dernières retouches ; demain matin, je ne pourrai pas le faire puisque j’animerai un atelier d’écriture et vendredi matin, je repars. J’en ai le vertige. Retrouver mes proches, ma maison, mon territoire, oui, mais perdre ce quotidien d’émulation, d’affection, d’une douceur infinie, je ne sais pas comment je vais le vivre. Ici, quand quelqu’un pleure, on le prend dans ses bras, quand quelqu’un est ému, on le prend dans ses bras, quand quelqu’un est généreux, on le prend dans ses bras, et les regards sont complices, les rires spontanés, et les mots réparent, consolent, ressuscitent. Je reverrai très vite certain(e)s mais nous ne retrouverons pas l’alchimie particulière à ce petit groupe dépareillé. Je ne l’oublierai jamais.
Je rentrerai aussi traumatisée, dépossédée de ce qui m’animait tant depuis des années, cette illusion d’avoir ma place légitime au sein des autres espèces. Voici un extrait de mon journal encore à l’état de brouillon, qui témoigne de ce traumatisme avec un humour que je perds désormais dès que suis dans un ersatz de nature (oublions la forêt) :
« je te cherche partout et toujours au cas où
je te cherche dans les bois et les champs
je te cherche dans les friches
dans les squares les parcs à crottes
les bacs à fleurs municipaux
je te cherche au bord du lac
sur les terre-pleins les talus
je te cherche dans les rues
j’imagine l’entrefilet d’un fait divers
quelque chose avec les mots
sanglier strike poétesse
antispéciste passerelle ville nouvelle
je scrute l’espace
en quête d’arbres et d’abribus
autour desquels tourner avec toi
espérant que tu te lasses
avant moi de notre danse »
Hier, sur la route du lac, je suis tombée sur le sanglier sans tête (attention, l’image peut choquer).
J’ai pleuré pour lui, pleuré d’effroi, pleuré que mon espèce conquérante ait gagné la peur et l’hostilité des autres. Peu après, j’ai abordé un couple d’inconnus, seuls autres humains sur le chemin qui sépare la voie ferrée des champs en contrebas de la forêt. Je leur ai parlé longuement. Puis des oiseaux se sont agités dans les arbres, le bruit qu’autrefois j’aimais tant m’a fait sursauter, mon cœur battait si violemment que la tête m’en tournait. Quand je pense à toutes ces aubes sur l’EV5, seule dans l’habitat des autres, l’exaltation que j’y puisais, j’en frémis. C’est fini pour moi. Je ne voyais qu’à quelques pas, inconsciente de ce que la profusion de la nature et de la nuit masquaient à mon regard, splendeurs et menaces. La nature semble me dire, Dehors, tu n’es pas chez toi ici.
Diacritik
Aujourd’hui en ligne, cet entretien croisé avec Vincent Broqua, mené par Emmanuèle Jawad, que je remercie chaleureusement.