/ 3 : des drôles d’oiseaux

Hier, j’ai participé à une répétition de Nous avons fait un beau voyage (le titre cite une chanson de Ciboulette, l’opérette de Reynaldo Hahn). Je parlais ici de notre pièce : elle a été écrite en atelier par la troupe même qui va l’interpréter – mes super hurluberlus préférés, dont on voit quelques spécimens sur la photo ci-dessous, dans la scène des oiseaux. Je vais moi-même lire quelques phrases, de sorte que je serai un peu sur scène avec le groupe + le chœur d’enfants mené par Astrid + non pas l’école de musique au grand complet, cette année, mais notre incontournable complice Nathalie et sa fille Marie. Toutes nos pièces s’achèvent par une interpolation de La veuve joyeuse (oui, nous aimons bien l’opérette) et pour la première fois, je ferai donc partie du très grand chœur dissonant qui entonnera ces quelques vers s’achevant par Vive la raie / Vive la République – nous réglons leur sort au tourisme, à la chasse, au consumérisme, au chauvinisme, etc. Plus d’infos dans la rubrique Factuel pour celles et ceux qui voudraient réserver une place, un train, une chambre d’hôtel et venir nous applaudir.

Après la répétition, j’ai sauté sur mon vélo et filé à Lille ; en chemin, j’ai retrouvé les jeunes oies que je vous ai présentées ici en décembre. Les trois que l’on voit ici dans l’eau ont mis en fuite un canard, qui a fini par s’envoler pour leur échapper.

J’ai croisé de nombreuses péniches que je ne connaissais pas encore, parmi lesquelles Octopus, St Eustatius, Gwendolina, Florida, Kevalia, Tsunami ou encore Alain, mais la première à s’être trouvée sur mon chemin a conforté ma théorie de la divination batelière puisqu’elle s’appelait Freedom et que j’éprouve précisément, ces temps-ci, un sentiment d’intense liberté. Il y a trois nuits, j’ai rêvé que j’étais un chevreuil et que je gambadais joyeusement au milieu des miens dans la nuit tout juste baignée de lune, quand soudain des phares de voiture ont éclairé ce que nous pensions être une prairie, alors nous nous sommes rendu compte que nous étions sur un rond-point ; ce rêve me dit qu’il faut rester prudente mais ignorer la déception que nous impose le regard de la civilisation, ignorer autant que possible ses problématiques pour jouir de la beauté que nous générons entre chevreuils, tant que nous le pouvons. J’ai appris ce matin avec perplexité le décès de la musicienne expérimentale Mira Calix (52 ans) et, outre la tristesse que j’en éprouve, je me répète qu’il ne faut rien concéder à ceux qui voudraient disposer de notre temps ; il est bien assez court.

À Lille, en compagnie de mes amies Antique, Claire et Lulu, j’ai assisté aux concerts de ces drôles d’oiseaux que sont Mega Bog et Cate Le Bon et j’ai passé un moment formidable. Entendre cette dernière interpréter, à deux mètres de moi, les chansons de son précédent LP, Reward, l’un des trois albums qui m’ont sauvé la vie en mars-avril 2021, m’a procuré des émotions bien plus fortes que je ne l’avais escompté ; j’avais très envie de pouvoir remercier la dame parce que, décidément, ça valait le coup de survivre à ce merdier.

Le moment était d’autant plus fort qu’elle jouait devant un public très confidentiel – moins cependant que celui de Mega Bog, qui d’ailleurs ne se sentait pas très bien : outre que le public clairsemé n’était pas réactif, elle n’avait pas son groupe au grand complet autour d’elle et m’a confirmé qu’il lui avait beaucoup manqué. Je lui souhaite plus de fun ce soir à Paris en plus grand effectif. Il est toujours étonnant, pour moi qui n’ai aucun lien avec la presse et la culture françaises, de constater que les superstars de mon monde ne remplissent pas une salle ici. Chaque jour, je me réjouis de vivre mentalement ailleurs.

Maison de la Poésie de Bordeaux

Je ne suis pas peu fière de figurer parmi les trois poètes invités à lancer en quelque sorte la toute nouvelle Maison de la Poésie de Bordeaux, à l’occasion de l’Escale du Livre, le 8 avril à l’Atelier du Conservatoire. Merci infiniment à Patrice Luchet pour sa confiance, je suis tellement heureuse et honorée de faire cette lecture… Plus de détails ci-dessous.

Parenthèse agnelaise

Samedi après-midi. Je teste une nouvelle formule d’atelier d’écriture avec une douzaine de personnes. Objectif : explorer la densité de l’instant. La première consigne est de marcher sans se parler pour être le plus disponible possible à ce que nous allons observer, éprouver, relever pendant les trois quarts d’heure de notre marche. Nous traversons d’abord un lotissement d’Agneaux avant de marcher au bord de la falaise qui surplombe la Vire au sud de la ville, treize individus silencieux – car mes participant.e.s sont très respectueux.ses de cette directive, à ce point : 1. voyant un couple avec bâtons de marche nordique effrayé par notre cortège silencieux, j’irai le rassurer : C’est un exercice, tout le monde va bien. Oh, dira la dame, soulagée, on va rester à distance alors, et je lui répondrai, N’ayez crainte, nous ne sommes pas contagieux ; 2. de retour à la médiathèque, j’apprendrai, en écoutant une lecture, que j’aurais pu apercevoir un chevreuil en contrebas de la falaise. Quoi ? m’écrierai-je, Un chevreuil ? Vous ne pouviez pas le dire ? et la dame me répondra, Ben non… Ce qui nous fera tou.te.s beaucoup rire. (J’aurais du mal à obtenir un tel silence de mon groupe d’hurluberlus liévinois, qui a le verbe exubérant, chante et rit aux éclats – il est même arrivé que je voie Paulette donner des coups de parapluie à un cycliste en lui criant de rouler plus vite, au bord du lagunage d’Harnes.)

C’est parti.

Traverser un lotissement puis une falaise s’avérera très porteur et les contrastes entre ces deux expériences successives alimentera beaucoup les textes.

Cet avion avec sa ligne de kérosène verticale marquera bien d’autres esprits que le mien. Je précise que, si je prends des photos, le groupe est équipé de mini carnets préparés par Romane, jeune recrue de la médiathèque, et moi-même, et que tou.te.s y prennent des notes au fil de la promenade.

Presque bien caché, l’un des seuls êtres vivants que nous croisons dans le lotissement.

Puis nous empruntons une ligne de désir entre deux pavillons pour gagner la falaise.

Mardi, en faisant des repérages, je me suis surtout attardée sur la nature en contrebas

mais cette fois, j’observe tout autant l’amont, les clôtures des jardins à notre droite et tout ce qui nous surplombe.

Contraste : à notre droite :

à notre gauche :

Puis nous regagnons tranquillement la ville.

Pendant que le groupe écrit des textes formidables, je pense à ce que nous venons de vivre. Ce qui m’a le plus frappée, c’est combien le silence nous liait tandis que nous marchions ; je n’avais pas anticipé ça, je ne l’aurais pas supposé, d’ailleurs je ne pensais pas que tout le monde jouerait le jeu. L’énergie qui circulait entre nous est en fait devenu un élément à part entière de l’expérience que nous avons eue des lieux, a imprégné les sensations qui nous y ont traversé.e.s, participé des scènes que nous y avons observées. C’était un moment précieux.

Quand les participant.e.s lisent leurs textes, nous pouvons constater que treize personnes traversant le même instant n’y vivent pas la même chose, n’y relèvent pas les mêmes éléments ou ne les perçoivent pas de la même manière – outre que nos univers très variés nous amènent aussi à des formes d’écriture très diverses. Je participe, moi aussi ; je ne le signale pas ni ne lis mes textes à l’oral pour ne pas prendre du temps au groupe ; je ne fais jamais ça, d’habitude mais il me semble naturel de partager jusqu’au bout cette micro aventure – treize personnes dissemblables au possible, réunies par une consigne un peu farfelue, un samedi après-midi de grand soleil, quand les voitures roulent capot contre capot entre Saint-Lô et le centre commercial.

Un extrait de mes propres notes, pour la première consigne d’écriture :

les éclats de voix, tranchants
le cri du ballon, contondant
ils se cognent au vent
sur le stade désert
le gazon darde son vert
pour lui-même
un vert que les grilles blanches
exhaussent

au sommet de la falaise
piquetée de ficaires
des arbres tordus des brise-vue
en plastique vert et quelque part
invisible
un pivert

3 jours

Elles et Eliot vont me manquer. Cette petite assemblée de personnalités inhabituelles. Nous avons passé trois jours en échanges incessants sur les processus de création, trois jours de discussions sans fin. Quelqu’un m’a dit que, depuis la salle, on entendait les rires qui provenaient de mon « cabinet » et qu’on se demandait ce qui se disait, là-dedans. C’était le son des univers qui s’étiraient, qui faisaient craquer leurs articulations, qui se demandaient ce qui viendrait ensuite – et cette question ne trouvera jamais de réponse, heureusement.

Après cette photo souvenir, nous avons de nouveau envahi un bistrot, cette fois nous étions 17 et nous avons bu 17 thés à la menthe. Puis j’ai eu le bonheur de retrouver mon amie Mel, que je n’avais pas vue depuis six ans <3

Au fil de la Souchez

Je vous en parlais ici : pendant deux ans, j’ai fait écrire des randonneurs liévinois tandis que la plasticienne et graphiste Oréli Paskal les faisait dessiner. Nous avons choisi de suivre une petite rivière qui, après son passage dans une buse sous la ville de Lens, se transforme en canal : la Souchez. Nous avons donc marché, puis les participant.e.s nous envoyaient leurs devoirs, que nous mettions en forme. Ce formidable petit groupe plein d’énergie, d’humour et de talent, attachant et haut en couleurs, n’a pas seulement produit une carte sensible mais aussi un carnet de route. Hier soir, ces super hurluberlus se sont réunis pour fêter la réception de ces beaux objets, qui seront distribués dans les quelques villes traversées par notre rivière super star. Nous ne comptons pas en rester là et avons hâte de nous lancer dans l’exploration d’un bassin minier insolite – dont les maisons penchées de Grenay (vues ici) seront assurément un beau défi pour les dessinateurs. (Comme tout le monde a l’air sage, sur cette photo… Comme c’est trompeur…)

Merci à Oréli pour les photos ci-dessous. D’abord, la carte proprement dite.

Son verso.

Le livret.

Ci-dessous, trois photos que j’ai prises avec les moyens du bord (une seule main, donc) pour vous donner un aperçu de la mise en page et des productions de nos incroyables artistes.

Ici, mon amie Marie-Thérèse et moi répétons nos lectures avant le début des festivités.

Ici ma mère lit, mon amie Hélène est très concentrée mais Élisabeth et Marc, pas tellement.

Le genre d’ambiance dans laquelle nous avons travaillé puis fêté notre travail…

Même s’il y a eu des moments plus solennels – ici, on voit à mon air aimable que je ne suis pas super fan du pont de contournement (alors en construction) de Courrières.

Tribu

Dans ma boîte aux lettres ce midi, le nouveau roman de mon amie Nat Yot, avec une dédicace et des remerciements qui m’ont beaucoup émue.

Par coïncidence, l’implacable et la réconfortante se rencontreront en mai aux Fours à Chaux de Regnéville, où elles seront toutes deux en résidence.

(Nat et moi faisant les andouilles pour notre amie IBL au marché de la poésie, édition 2021.)

/ 3 : divination batelière

Hier, je me suis octroyé un RTT pour me rendre à Lille à vélo par les chemins de halage. Je n’avais pas eu l’occasion de les emprunter depuis longtemps et les parcourir était un tel bonheur que je suis devenue quelque peu lyrique, me disant, Ce monde est mon monde – non pas le mien exclusivement, comprenez-moi bien, mais aussi le mien ; je me sens la plupart du temps si peu à ma place que ces épiphanies me sont terriblement précieuses. J’ai croisé un grand nombre de péniches, certaines que je connaissais déjà, et cinq que je n’avais jamais vues. Passons sur Cadillac et Njörd. Les trois qui m’ont interpellée sont celles-ci :

Novateur… Quel drôle de nom pour une péniche, me suis-je dit, sans plus, et je n’ai pas davantage réagi quand j’ai croisé Vaya Con Dios (il m’en faut plus qu’à l’époque où j’aimais voir un bon présage quand je croisais Bon Espoir, Serenitas ou Good Luck),

mais quand Futura est venue insister, j’ai compris que ces péniches m’annonçaient quelque chose. « C’est bientôt », me souriaient-elles. Très bien, je suis prête. Je l’étais tellement hier soir que j’ai été surprise de ne pas rencontrer le grand amour dans le bar où je retrouvais des amies – et où la moyenne d’âge hélas était de 26,5 ans – puisque pour le reste, j’ai tout ce qu’il me faut. Comme le dit la chanson des Gershwin,

Somebody loves me
I wonder who
I wonder who she can be

Un allié (encore une histoire de suidés)

Je suis tombée sur un article du naturaliste Pierre Rigaux et j’en ai les larmes aux yeux : je ne suis donc pas une illuminée ou une idéaliste. L’article est ici et voici sa conclusion :

« Le nombre faramineux de sangliers abattus chaque année* est la conséquence mal maîtrisée d’une volonté politique et historique de disposer d’une abondance de « gibier » à « réguler » par la chasse de loisir.

Dans l’inconscient collectif, le cas du sanglier permet au lobby cynégétique de justifier son rôle plus que discutable de « régulateur de la faune sauvage ».

Pourtant, les sangliers représentent à peine 1 à 2% de la totalité des animaux tués à la chasse en France.

Une majorité de ces animaux est issue, soit d’élevages de « gibiers », soit de populations sauvages en déclin ou ne nécessitant aucunement d’être « régulées ».

  • Ne faudrait-il pas changer de paradigme ?
  • Est-ce sensé de continuer à réfléchir en termes de tirs et d’activité de loisir ?
  • N’y a-t-il pas d’autres voies scientifiques et techniques à explorer ?
  • Est-ce raisonnable d’abattre massivement des sangliers parce qu’ils abîment des champs de maïs destinés à des élevages intensifs dont nous n’avons nullement besoin pour notre alimentation ?
  • Ne devrait-on pas refonder notre relation au vivant sur la base d’un meilleur respect des animaux, qu’ils soient sauvages ou domestiques ? »

* Plus de 600 000 sangliers sont abattus chaque année en France, au nom de la « régulation ».

(Photo de Luc Souret, par le biais de laquelle j’ai trouvé cet article qui devrait être très largement diffusé – oui, je regarde des photos de sangliers / laies / marcassins pour mon loisir, et alors ? Quelles splendeurs…)

Merci Pierre Rigaux, que le monde vous entende…

Fatima

entre deux gares dans ma tête
en tourbillon des brouillons de lettres
que j’hésite à t’écrire et sous mes roulettes
les trottoirs étroits et sales de ta ville


est-ce que je serre les mâchoires ?
les larmes tiennent bon dedans
je renverse la tête comme les enfants
quand ils saignent du nez – ça marche


j’avance de mon pas vif et ça commence par
Mon amour, un brouillon après l’autre
je dépasse une femme je serre peut-être
les mâchoires je ne sais pas je ne pleure pas


et la femme que je dépasse me demande
ce qui ne va pas je redresse ma valise
le temps se suspend sur le trottoir là juste
devant le square Montholon immobile


je fais face à l’inconnue je lui parle de toi
elle avance des hypothèses me prodigue
des formules pour continuer sans
toi s’il le faut et cesser de souffrir


les minutes passent et je souris grâce
à Fatima B., 58 ans, avocate et formatrice
d’avocats qui ne me trouve pas si foutue
que ça – ma bonne fée du jour – merci

(Plus loin, de nouveau entre deux gares.)