Californie 7

Quand je cours, je ne porte pas mes lunettes. La première fois que j’ai vu cette préconisation peinte sur un trottoir, j’ai cru qu’il était écrit NO DOLPHINS.

Parfois aussi, je vois très bien mais je ne comprends pas. Valentina et moi avons fini par nous renseigner sur ce nom (commun ? propre ?) que l’on voit un peu partout à LA (je ne dévoilerai pas toutes les choses ridicules que nous avons imaginées) et nous nous sommes senties très bêtes : X pour Cross, Xing pour Crossing.

Mélange de pubs sur la route du Zebulon.

Comme s’il n’y avait pas assez de millions de palmiers dans cette ville (sans compter leurs ombres),

on en voit aussi beaucoup peints sur les murs – comme ici, à Venice.

Parmi les choses que je voulais absolument faire, il y avait : marcher au bord de la mythique Los Angeles River. J’ai exaucé ce vieux rêve pendant que Valentina faisait ses balances au Zebulon.

Il est arrivé un moment où je marchais entre la rivière et l’autoroute.

Car, s’il y a une chose qui n’est pas qu’une légende, c’est que des autoroutes coupent littéralement la ville. Je n’ai vu aucun endroit, en revanche, qu’on ne peut atteindre à pied comme je l’ai lu à divers endroits. Je chercherai mieux, la prochaine fois.

Quelques reflets de buildings sur des buildings à Downtown, où nous sommes retournées – c’est mon expérience la plus marquante d’ici bien que très loin d’être le lieu que je préfère… On ne s’y sent pas du tout à Los Angeles, ni nulle part ; on se croirait à Gotham City (cf. The Joker).

Une autre expérience que j’ai tenu à tenter, ce qui a fait rire nos ami.e.s ce soir, c’est le bus. Tout le monde m’avait dit que les bus étaient des coupe-gorges. Tout le monde ici a le cerveau déformé par la culture de la voiture et voit des dangers ou des impossibilités partout. Nous avons pris la ligne 7 de Santa Monica à Koreatown. C’est aussi une manière intéressante de voir des rues, des rues, des rues. Les coins de rues ci-dessous, en revanche, ont été photographiés alors que nous marchions.

Le ciel est TOUJOURS très fréquenté à LA. Ci-dessous, à Santa Monica,

dont voici la jetée.

Et quelques miles au sud, voici Venice.

Ce que je voulais y voir, c’était surtout les canaux qui sont le décor d’un roman noir de Bradbury que j’ai adoré il y a une trentaine d’années (moins quand je l’ai relu il y a deux ou trois ans), La solitude est un cercueil de verre.

Ce quartier qui était à l’époque en déshérence est aujourd’hui l’habitat de quelques riches et de nombreuses aigrettes.

Pour finir, voici un portrait de Valentina tiré de quelques nouvelles séries de photos à destination de la presse que j’ai faites ici, en extérieur et dans notre chambre d’hôtel à Koreatwon :

Je lui ai demandé de me rendre la pareille, puis de me rendre l’appareil parce que ses cadrages ne me convenaient pas ; je me sentais mal dans mon corps, qui a pas mal souffert d’une nourriture vegan trop succulente pour la modération. Elle a photographié mes indications sans que je le sache et la série qui en découle nous fait beaucoup rire. Surtout cette photo, qui ne servira pas malgré mon magnifique T-shirt Permanent Draft.

Californie 6

Un aperçu de notre performance à San Francisco pour le Wattis Institute for Contemporary Arts (merci à Marielle pour cette photo) ; le public n’était pas seulement face à nous mais tout autour.

Hier, j’ai fait battre tous ses records de marche à mon amoureuse, ce qui ne s’est pas fait sans ampoules et crampes, pour profiter pleinement de notre journée off à San Francisco. Nous avons marché de Mission au Golden Gate Bridge, ce que tout le monde nous avait dit impossible. En chemin, nous avons vu Castro, le fameux quartier LGBTQIA+ et notamment ce cinéma que l’on voit beaucoup dans le biopic de Harvey Milk (et qui annonce ces jours-ci un chef d’œuvre d’Altman de 1973, The Long Goodbye, et non un stupide film produit par N*****x).

Au fil des rues en pente forte, on découvre de nouvelles perspectives sur la baie.

On descend une colline de pins au parfum délicieux pour découvrir Alcatraz

puis le fameux Golden Gate Bridge, au pied duquel Kim Novak feint de se suicider dans Vertigo, mon Hitchcock préféré (je l’ai déjà vu quatre fois mais quelque chose me dit que la cinquième fois est proche).

Puis nous sommes revenues à Los Angeles de nuit, survolant son tapis de lumières apparemment infini. Nous sommes désormais à Koreatown.

Californie 5

Voici notre hôtel à San Francisco, un lieu hitchockien, d’un autre temps. C’est de son salon que j’écris ce billet en prenant mon petit déjeuner ; la musique est le requiem de Mozart, ce matin, mais de manière générale, il y a de la musique classique, des fruits et des boissons chaudes à toute heure du jour et de la nuit dans ce double séjour très chargé visuellement.

Nous sommes arrivées avant-hier soir. Valentina dans la hall d’entrée, avec sa camomille.

Moi, un peu fatiguée manifestement, dans le salon.

Hier matin, ma première course à pied franciscanaise m’a menée au Bay Bridge (le Golden Gate, c’est pour aujourd’hui, si tout va bien).

Divers types d’habitats se côtoient aux abords des échangeurs.

Après quoi j’ai traversé des zones interstitielles infréquentées. San Francisco est un paradis pour les joggeurs, avec ses larges trottoirs déserts tôt le matin (ici les magasins ouvrent à midi, avant ça la vie est au ralenti et on est bien tranquille).

Il est quasiment impossible de photographier décemment Mission, la rue mexicaine où on se croit véritablement au Mexique (et où se trouve mon restaurant vegan préféré au monde, également mexicain), tant elle est profuse et animée, impossible de rendre compte de sa splendeur décrépite où se bousculent des musiques fortes et joyeuses. Impossible aussi de rendre justice à la beauté de l’architecture de cette ville. Alors que je courais, je me disais que j’aurais pu prendre chaque maison en photo, il n’y en a pas deux identiques.

Où est kitty ?

Une ville de tramways, au ciel arachnéen.

Une ville de fresques.

Hier soir, nous avons donné notre troisième performance de Permanent Draft, après Ravenne et Londres, dans l’ancien cinéma ci-dessous, sur Mission Street.

Ça fera onze mois demain que j’ai contacté Valentina sur Internet pour lui dire que j’aimerais la connaître. Si on m’avait dit alors que onze mois plus tard je serais sur scène avec elle en Californie… Demain, nous fêterons la magie de cette vie au Zebulon, à Los Angeles.

Installation avec les techniciens du lieu, l’après-midi. Plus tard, après les concerts, nous irions boire un verre avec la sœur d’une de mes meilleures amies, que je n’avais pas vue depuis trois ans et qui vit ici depuis dix ans, et avec un de ses amis.

Californie 4

Devant quoi posons-nous ?

Devant une gated wilderness – l’expression est de moi, composée du terme gated communities, qui désigne les enclaves résidentielles pour riches, et du terme officiel d’ici pour désigner les parcs naturels sous clé, urban wilderness, un concept que je ne connaissais pas encore et qui semble très californien : ces collines, habitat de nombreuses espèces, parmi lesquelles les ours et les ratons laveurs, sont accessibles au public humain jusqu’à 22h, après quoi les grilles sont fermées.

On n’a pas le droit d’y apporter son arme à feu – comme à l’aéroport, ce dont nous nous sommes beaucoup amusées : comment est-on censé protéger sa famille dans l’avion ? Une conductrice de taxi hippie venait de nous dire que le monde ne tournait pas rond et que désormais on n’avait plus le droit, dans certains états, de tirer sur les intrus sur son propre terrain (elle a employé le mot murder, tranquille) ; ce qui, a-t-elle précisé pour nous rassurer, ne l’empêche pas d’aimer son pays et Dieu. Ouf…

Mais une fois qu’on a franchi la grille, si l’on fait abstraction des hélicoptères omniprésents, on est bien, dans la gated wilderness.

Et si nous n’avons pas eu la chance de croiser des animaux sauvages, certains restes de boue scellent notre cohabitation derrière les grilles de la civilisation.

Nous avons discuté avec diverses personnes qui attestent la présence fréquente d’ours dans leur jardin dans ce quartier que nous avons choisi mais je n’y ai même pas vu l’ombre d’un raton laveur, sinon ces traces de pas.

Sortons de la gw, revenons à la végétation urbaine ordinaire, dont voici un très modeste échantillon, car les rues ici sont luxuriantes. Le jardin typique comporte au moins des palmiers et des orangers ou des citronniers.

Pas de chaussures, non, du moins pas par paires, mais des chaussettes – c’est mieux que rien.

Et parfois quelques extravagances.

Et maintenant, nous sommes à San Francisco, c’est parti pour de nouvelles aventures. Ce soir, on travaille : Permanent Draft poursuit sa tournée internationale.

Californie 3

Oui, on peut marcher à L.A., on le voit d’ailleurs sur ces panneaux : le bonhomme qui marche sur la montagne et celui qui marche sur l’épicerie en témoignent. Comme on me l’avait dit, les seules personnes qui se déplacent à pied dans cette mégalopole sont les sans-abris, les personnes qui parlent toutes seules et quelques excentriques. Ce matin, alors que nous descendions de chez nous, à l’extrême nord d’Altadena, au pied des montagnes, jusqu’au sud de Pasadena, quelques hurluberlus nous ont emboîté le pas et nous avons imaginé arriver à Malibu à la tête d’une armée de freaks.

J’initie Valentina à ma manière de découvrir les villes ; elle apprécie beaucoup, malgré les ampoules. Au fil des rues, j’ai vu des échantillons des différents habitats qui m’attirent depuis toujours ici, les maisons en adobe ou en bois, les grandes demeures grandiloquentes et les petites bicoques délabrées, les rues sinueuses et les rues en damier, le plat et le (parfois très) vallonné.

Aujourd’hui, nous avons résisté à la tentation du pédalo sur Echo Parl Lake.

Nous avons vu des oies du Canada, des foulques exactement semblables à celles de chez nous et une aigrette à l’air suspicieux mais qui, contrairement à celles de chez nous, ne fuit pas à l’approche des humaines.

Ici, un bâtiment que j’aime beaucoup parce qu’on peut se croire dans les années 1920 quand on fait abstraction de celui qui se dresse derrière lui, mais que Valentina déteste.

Quand nous l’avons atteint, nous venions de surmonter notre peur en traversant une zone parfaitement hostile et entrions dans le quartier dont je m’attendais contre tous avertissements à ce qu’il soit rassurant mais qui s’est avéré le plus flippant que j’aie jamais vu : Downtown. En tout cas, c’est assurément le quartier le plus étrange et le plus inquiétant de L.A. – et je ne veux même pas parler de Skid Row et de ses 15.000 sans-abris dont le tentes bordent les rues de part et d’autre, à quelques pas des plus grandes fortunes de Californie. Le mélange de misère et de capitalisme effréné paraît encore plus choquant ici qu’à Paris, où déjà il me répugne infiniment.

Nous avions choisi pour destination The Last Bookstore, immense librairie-disquaire aux plafonds d’opéra, un lieu d’un autre siècle qui vend notamment des livres rares et signés. Je m’attendais à un centre-ville typique, à cause des buildings que l’on voit depuis toute la ville et c’était un peu le cas, certes, mais comme dans un film post-apocalyptique. On ne s’en douterait pas sur l’image ci-dessous mais Downtown est un coupe-gorge géant où même les commerces franchisés donnent un frisson d’effroi, Starbucks crasseux et magasins de baskets déserts, où les cinémas qui ont vu passer sur des tapis rouges les plus grands acteurs des années 1920 à 1950 sont devenus des prêteurs sur gage miteux ou autres établissements interlopes, quand leurs porches ne servent pas simplement d’abri de fortune semi-meublés. Quant à l’atmosphère qui règne sur ses rues désolées, un volet de fer sur trois baissé irrémédiablement, elle passe toute description. Downtown L.A. est une vision de cauchemar – Valentina acquiesce, elle aussi pense que c’est ce dont il s’agit. J’ai traversé ce cauchemar, je l’ai habité pendant quelques heures avec un sentiment mélangé d’effarement et de fascination. Cette expérience restera sans doute la plus marquante de mes explorations urbaines ; même Hollywood Boulevard ne m’a pas autant bouleversée. On est là dans une réalité qui rejoint tant de films d’anticipation bien connus qu’on est subitement coupé de toute réalité extérieure – au point que notre passage à The Last Bookstore m’a évoqué ces scènes de films où des personnages se réfugient dans des bâtiments luxueux assaillis par toutes sortes de menaces terribles. Dehors règne rien moins que le chaos.

Autant dire que je n’ai pas osé prendre de photo à hauteur d’humain.e – à part celle-ci et deux ou trois autres qui ne rendent rien, à la nuit tombée.

Californie 2

Tout le monde me disait qu’on ne POUVAIT pas marcher à Los Angeles ; j’ai au moins prouvé à Valentina que c’était une légende urbaine. Hier, nous avons marché vingt kilomètres. Nous avons même vu, en chemin, un petit bout du Walk of Fame, avec ses étoiles, ses tentes et ses cabanes en bâches, habitat de sous-abris par dizaines ; une femme était étendue sur l’étoile de je ne sais quelle starlette oubliée, les entrées de cinémas avaient l’air de sex shops miteux. Mais il y a de la beauté aussi, à LA et contrairement à ce qu’on me prédisait depuis des décennies, je ne suis pas déçue. Quelques photos de touriste :

Griffith Observatory depuis Hollywood

Hollywood depuis Griffith Observatory

Downtown depuis les collines, dans le smog

Un aigle parmi des dizaines

Coyotes de Los Feliz

Hélicoptère sur Sunset Boulevard

Sunset sur Sunset

Californie 1

La Sierra Nevada vue du ciel

Mon premier crépuscule angeleno

un échangeur typique – rouler dessus est une expérience à part entière, particulièrement au crépuscule

Il y a plein d’hélicoptères et de zeppelins dans le ciel

Notre cabane à Altadena

Un chalet californien

Une vue de mon premier footing

Et maintenant, c’est parti pour l’exploration

Basta Now # 2

est aujourd’hui en ligne sur Soundcloud, ici.

Cette fois, c’est un mix pour le samedi soir avec au programme

Klein – Claim It!
Propan – Berlin Clubbing
Felicity Mangan – Cyborg Bugs
Kelly Ruth – Dimensional Peristence
Méryll Ampe – 4N4N4S
Sonae – Tropennacht
Terrine (Claire Gapenne) – Banabila Dub
Nwando Ebizie – I Seduce
Mutamassik (Giulia Loli) – Swampum
Teresa Winter – Fourteen Nights

Le premier morceau, Claim it! de Klein (dont j’ai déjà parlé sur ce blog 73 fois, je pense) est l’un des quelques morceaux qui représentent à mes oreilles très subjectives la perfection en musique : chaque seconde est parfaite, la structure est parfaite, de même que les lamentations (ce Why? à la Yoko Ono), le rythme irrésistible et généreux et les textures à tomber par terre ; il ne manque rien et il n’y a rien à jeter : parfait.

(Klein par Sze NG)

Quant à la toute fin de mon mix, le surgissement hystérique et complètement incongru de Teresa Winter, il me fait rire aux éclats, jusqu’à ce qu’il apporte une touche mélancolique très fin de fête et bienvenu à cette débauche d’énergie.

Wire Magazine

Dans le nouveau numéro de Wire (avec Meredith Monk en couverture, comme je le montrais plus tôt cette semaine), ce compte-rendu de la résidence de Valentina au Café Oto. Je remercie de tout cœur l’auteur de ces lignes, qui ne rend pas seulement hommage à la grâce et au génie de mon amoureuse (eh, ce n’est pas moi qui le dis), à la finesse et à l’inventivité de nos ami.e.s mais fait aussi une belle place à ma performance avec Valentina et Dali. Si on m’avait dit qu’un jour mon nom apparaîtrait, en si incroyable compagnie, dans les pages de mon magazine préféré… Voilà qui est très euphorisant.

hors du temps

Il y a un an + un jour, j’arrivais à la Factorie, Maison de la poésie de Normandie, et je proposais à mes camarades poètes qu’on se retrouve à 19h pour l’apéro – ce que nous avons fait, et nous avons parlé et dansé jusque tard ; le lendemain et les jours suivants, nous ne nous sommes pas donné rendez-vous, nous nous sommes spontanément réunis. Chaque soir, nous avons dansé ensemble, écrit ensemble, lu ensemble, cuisiné ensemble, construit, échangé, exploré. Ces dix jours auront été parmi les plus intenses, étranges et fascinants de ma vie et je sais que certain.e.s de mes ami.e.s ont vécu la même chose car nous en parlons encore parfois. Demain, ça fera un an qu’un sanglier m’a chargée dans la forêt de Bord puis que j’ai vu sa magnifique harde dévaler un vallon – ensuite de quoi Maud puis moi verrions un sanglier décapité vers le Lac des Deux Amants. Je m’attarde sur cet épisode charnière de ma vie (je veux parler de la résidence dans son ensemble), dans ma prochaine parution aux Carnets du Dessert de Lune puisqu’il s’agit de mon journal de résidence à la Factorie – plus d’infos très bientôt et je posterai ici pas mal d’inédits que nous avons écartés du recueil final.

Avec moi sur cette photo souvenir dont je ne me lasserai jamais, Catherine Barsics, Maud Thiria, Anna Serra et Emanuel Campo, de merveilleux êtres humains, de formidables poètes et de très bons danseurs. Amour éternel.

J’ai revu Anna cet été puisque j’ai passé une dizaine de jours en résidence dans sa Ferme de la poésie pulsée, La Perle ; j’ai revu Maud une fois, de passage à Paris ; toujours pas Emanuel, ni Catherine – mais elle, je la verrai bientôt, c’est sûr, et nous allons même écrire ensemble. Ce n’est pas une petite aventure qui s’annonce puisque notre ambition est rien moins que d’écrire et d’imprimer un livre afin de le présenter en performance à l’issue des cinq jours de ma résidence. Cette perspective est très euphorisante.