La vitesse sur la peau
Le Rouergue, collection Doado
Quatrième de couverture
« Depuis un an, Elina ne parle plus à personne, ni en famille ni au collège. Son activité principale est de végéter parmi les végétaux. Au Jardin des Plantes, elle fait la plante, assise sur un banc. Personne ne l’a jamais abordée, pour lui demander l’heure, son prénom ou même un mouchoir en papier.
Puis un jour elle se met à courir, mais en sens inverse des aiguilles d’une montre, pour rembobiner le temps jusqu’à la retrouver, elle, sa mère disparue. Et une femme lui adresse enfin la parole. Violette, une ancienne marathonienne en fauteuil roulant, une femme libre, déroutante.
Grâce à sa présence, Elina va réapprendre à parler, danser, crier. A pleurer aussi. Car Violette est aussi une femme au secret bouleversant. »
Notes de l’auteur
1. Petite iconographie du roman.
Elina est fascinée par un tableau de Raoul Dufy, Race track at Deauville, the start, qu’elle découvre dans le cabinet de sa psychologue et dont elle commande ensuite sa propre reproduction sur Internet pour pouvoir l’étudier longuement, le soir, en rentrant du Jardin des Plantes. Il est à l’origine d’un questionnement sur le sens que viendront étayer d’autres observations – notamment sur le langage, à travers la musique (voir 2.)
Elina comprend que les deux photos ci-dessous ont la même fonction dans la vie de son amie adulte, Violette, que le tableau de Dufy dans la sienne :
(Soit Le Saut dans le vide, 5, rue Gentil-Bernard, Fontenay-aux-Roses, octobre 1960 d’Yves Klein – on trouve ici les coulisses de ce célèbre montage.)
La seconde photo est anonyme et montre deux danseuses et flappers dansant sur le toit d’un building à New York. Comme moi, Violette donne un sens particulier au fait de danser au sommet des constructions humaines…
Dans mon dossier de travail figuraient d’autres photos, que j’ai choisies de ne pas utiliser dans le texte ; en voici deux, en cadeau bonus :
(Mary Poppins, bien sûr.)
(Li Wei, High Place, 29 Levels of Freedom, Beijing, 2003)
2. La bande originale du roman.
Avant de rencontrer Violette, Elina est une drôle de jeune fille, qui, sans en avoir conscience, n’écoute quasiment que des andante con moto, principalement celui de La jeune fille et la mort de Franz Schubert.
Violette va lui faire découvrir le walkman et son casque en mousse, mais aussi des musiques de sa propre adolescence ; Cocteau Twins va fasciner Elina, principalement le titre Summerhead.
Quant à Tom, l’ex mari de Violette, il va donner à Elina la passion de Kurt Schwitters, en tout cas de son Ursonate :
Ce roman avait initialement pour titre Lanke Trr Gll, citation de l’Ursonate. C’est une autre histoire, que voici, pour mémoire.
3. Les adieux à L’école des loisirs et la joyeuse arrivée au Rouergue
La vitesse sur la peau a donc failli s’appeler Lanke Trr Gll et paraître à L’école des loisirs. Je me sens très loin aujourd’hui de cette péripétie mais je n’oublie pas ceux de mes camarades auteurs, correcteurs (pris en otage) et, naturellement, éditeurs, qui ne se sont pas encore relevés de cette épreuve. Je me contenterai ici de copier-coller mes deux contributions au blog La Ficelle, qui un temps a réuni quelques auteurs de L’école qui désapprouvaient la nouvelle direction, sa pseudo ligne éditoriale et l’éviction, aussi brutale qu’injustifiée, de nos éditrices.
L’extincteur
Avec l’École des Loisirs, je suis souvent partie en classe verte. J’ai pris des trains pour aller parler de mes livres un peu partout en France – là où l’on m’invitait : je n’ai jamais, de ma robuste épaule, enfoncé les portes d’un collège pour imposer ma prose à des jeunes gens aux yeux révulsés. Souvent, l’on m’offrait du gâteau maison et des Chamallow à la fin de la rencontre, parfois des dessins, des poèmes, des collages inspirés de mes histoires. À des centaines de collégiens et de lycéens, pendant quatre ans, j’ai dit le bonheur de travailler avec Geneviève Brisac et Chloé Mary.
Je leur ai dit combien il était appréciable de collaborer avec des éditrices dont je partageais tant de conceptions – des éditrices qui, notamment, comprenaient l’intérêt d’un langage soutenu et de références culturelles exigeantes en littérature jeunesse. Nous proposons des univers de fiction, certes, mais nous ouvrons aussi des portes vers d’autres univers. Le lecteur curieux pourra, s’il le souhaite, passer leur seuil ; les autres ne seront pas perdus…
Dans mes quatre romans parus à l’École des Loisirs (trois Médium, un Neuf), j’ai pu parler d’opéra, de blues, de jazz ; il n’y avait personne pour me dire que ça ferait fuir les ados, comme ça m’est arrivé ailleurs. En l’occurrence, j’ai rencontré un grand nombre de jeunes gens que ça ne faisait pas fuir du tout. Certains me disaient au contraire combien mes textes leur avaient fait du bien – ces textes qui, si j’en crois les communiqués officiels, ne répondent plus aux attentes des lecteurs, puisqu’ils ont été approuvés par Geneviève Brisac. Sans doute ai-je rencontré de faux lecteurs, ou de faux ados.
Je ne sais pas ce qui a déplu à M. Hubschmid dans mon dernier texte. Le contrat était signé, j’attendais les épreuves, une proposition de couverture. C’est au cours d’un échange de mails purement logistique avec une employée de l’École que j’ai appris, incidemment, ce dont j’avais déjà l’intuition : que Lanke Trr Gll faisait partie des quatre premiers manuscrits déprogrammés dont on parlait tant. Personne n’a pris la peine de me notifier ma radiation du programme
J’ai demandé pourquoi mon texte était supprimé, puisque le mail ne le précisait pas. Réponse : « Arthur Hubschmid a pris cette décision en estimant que votre manuscrit se trouvait en inadéquation avec le public adolescent auquel nous le destinions. » J’ai exprimé mon désir qu’une lettre un peu plus étayée me soit envoyée (je ne souhaitais pas d’entretien téléphonique ni de rendez-vous avec M. Hubschmid, : encore une intuition juste puisque je ne savais pas encore avec quelle brutalité ce monsieur traite les auteurs).
À ce jour, je n’ai toujours reçu aucune explication. Je n’existe tout simplement pas, semble-t-il. D’après certains bruits de couloir, mon texte est apparu comme trop plombant, notamment parce qu’il y est question de deuil. Je ne vous ferai pas l’insulte de commenter cela.
Mon roman s’apprête à vivre sa vie sous un autre titre, chez un autre éditeur. Une nouvelle aventure commence pour moi et j’en suis évidemment heureuse, mais ce bonheur n’étouffe pas ma colère. Je pars mais je n’oublie pas que la maison dans laquelle j’ai grandi en tant qu’auteur pour la jeunesse est en proie aux flammes, avec tant d’amis encore dedans, et je n’oublie pas que les architectes, dehors, assistent désemparés à cet incendie criminel. Je pense à eux et les assure de ma gratitude éternelle.
Suicidaires solaires
Mes personnages et moi, nous n’allons pas toujours bien. Nous avons tendance à envisager la mort comme un refuge, nous tenons le plus souvent à l’écart de ceux que nous refusons d’appeler nos semblables, maudissons trop bruyamment ceux qui font de cette planète un bouge à peine habitable, nous sentons invariablement seuls et inadaptés. Parfois, sauter du haut des constructions humaines nous serait d’un grand soulagement. Pourtant nous sommes toujours là. Parce que nous sommes des résistants malgré nous. Nous luttons avec l’opiniâtreté d’escargots, nous ne lâchons pas la ficelle, le fil de bave ténu qui nous tient rivés à la vie sur terre. Nous créons des coquilles respirables au sein du vaste monde et nous le faisons à base de mots : c’est notre truc à nous, nous générons des mondes meilleurs. J’y vois une démarche lumineuse. Nous sommes des suicidaires solaires.
Dans le roman qui devait s’appeler Lanke Trr Gll à L’école des loisirs et qui au Rouergue s’intitulera très bientôt La vitesse sur la peau, ma jeune narratrice, Elina, a perdu sa mère et le goût de la vie. Elle retrouve l’usage de la parole au terme d’un long parcours qui la voit revenir de parmi les plantes et se trouver une nouvelle place au milieu des humains. Mais elle ne se contente pas de parler, elle réinvente un langage sur mesure, qu’elle se taille dans la matière de la langue commune, un langage exigeant qui refuse les formules toutes faites et les questions rhétoriques. C’est un écrivain malgré elle.
Quant à moi, je suis l’auteur de dix-sept livres publiés ou à paraître très prochainement, ainsi que d’un nombre plus grand encore de chantiers romanesques non (encore) aboutis. Quand j’ai compris que l’aventure à L’école des loisirs était terminée pour moi – comme pour un grand nombre d’auteurs qui, pas plus que moi, ne conçoivent cette maison sans Geneviève ni Chloé, évidemment j’ai pleuré, contemplé le désastre, estimé les dégâts. Et puis je me suis dit que geindre, trépigner, menacer, ça ne servirait à rien, et je me suis demandé avec qui j’aurais envie de travailler désormais. Je n’ai pas eu à réfléchir, c’était évident. Je sens que de belles aventures m’attendent maintenant au Rouergue.
Ainsi, loin d’être les dépressifs pleurnichards que l’on pourrait hâtivement voir en nous, mes personnages et moi, ne sommes-nous pas des personnages positifs et entreprenants dans un monde complexe que menace l’obscurantisme ? Toutes choses qui devraient plaire à certain grand penseur de la littérature pour la jeunesse, mais non. Tant pis.