Tombeau de la beauté

Ce matin, j’ai croisé une famille de cervidés : un chevreuil, une chevrette et leurs trois ados. Demain commencera leur calvaire pour les six prochains mois (je fais semblant de croire qu’ils vont s’en sortir, qu’ils vont échapper aux raclures de bidet en gilet orange). Voici la mère et les petits :

Et maintenant, je vous présente quelques-uns des nombreux animaux que j’ai rencontrés cet été, au cours de mes plus de 3 000 km de vélo et, pour les derniers, au cours d’une randonnée dans le Haut Jura. Vous allez voir des lapins, un lièvre, une faisane, des vaches, un grèbe huppé, une foulque macroule et l’un de ses petits, une paonne, onze cormorans, un héron, un gang d’oies cendrées, un agneau, un chamois et son ado. Ils sont la beauté. Le tombeau, c’est la saison de chasse qui s’ouvre demain dans le Pas-de-Calais (elle a déjà commencé dans d’autres départements).

rien de nouveau

dans la brume mais je ne m’en lasse pas. C’est pourquoi je vais courir même quand il fait 1° et que j’ai un rhume assez remarquable pour que ma voisine ait cru, hier, quand elle m’a appelée, que j’étais en train de pleurer. Je n’avais juste plus de nez. Mais il me reste mes yeux pour admirer les vues ci-dessous et mes oreilles pour goûter le bruit blanc granuleux de la brume, le délicat atterrissage des canards à la surface du canal et le frémissement des arbres s’égouttant de la nébulosité accrochée à leurs branches.

Ce n’est pas fini

Nous avons fait connaissance ici, tout à l’heure, avec le monstre de la Souchez. Je ne l’ai pas seulement filmé, j’ai pris des photos, qui s’avèrent aussi édifiantes que les vidéos. Notamment celle-ci, parce qu’on voit bien qu’il s’agit d’un long individu sinueux avec des écailles + non pas un aileron comme je l’ai d’abord cru (et décrit à la dame au sweat-shirt rose) mais plutôt une nageoire caudale. Je précise que la longueur totale de la chose, pour autant que j’aie pu en juger, est de deux ou trois mètres. Ce billet sera classé dans la rubrique Splendeurs & Merveilles ; où Merveille, « Événement ou chose qui cause un vif étonnement par son caractère étrange et extraordinaire » (CNRTL). Les splendeurs suivent.

Avant de rencontrer le monstre, à la faveur d’un pipi nature en marge du chemin de halage – près du chemin du Brûle, à Harnes, si vous voulez tout savoir -, j’ai vu un faucon.

Je lui ai demandé de faire le faucon pour moi, il a soupiré puis

C’est assez faucon pour Madame ? il m’a demandé. Ensuite, j’ai croisé quelques dizaines de lapins et lapereaux.

Il y avait des opérations en cours sur la plateforme multimodale, la grue de Delta 3 déchargeait Carina.

Face à la scène, une famille de canards indifférente.

Il faut vraiment que je sois amoureuse pour aller retrouver Valentina à Paris alors que c’est autour de chez moi que tout se passe.

pas des vacances

Cette semaine, Valentina et moi avons collaboré pour la première fois ; nous avons concocté une mixtape de deux heures qui sera diffusée dans une galerie d’art virtuelle italienne (Fulmina de son petit nom) dans quelques semaines ; on y trouve beaucoup de morceaux que j’aime et que, pour certains, j’ai déjà relayés ici (d’autres ont fait danser Regnéville le 5 mai). Il s’agit d’une playlist 100% féminine, à 97% expérimentale. Le premier titre, c’est Valentina au piano et moi qui parle. Je posterai le lien de notre mix dès que celui-ci sera en ligne. Lundi, nous allons jouer les DJ à Londres ; ce sera notre deuxième travail d’équipe. J’aime aussi que chacune s’associe aux décisions de l’autre.

Et voici ma photo de la semaine, une Valentina à 319 € (balancelle incluse) sur le parking d’un supermarché, à Loison-sous-Lens. J’achète.

des sangliers

Avant ce matin, mon souvenir le plus traumatisant était celui du jour où la marée haute m’a surprise au pied d’une falaise, à Wimereux, et m’a projetée contre les rochers ; je suis rentrée en sang mais surtout sous le choc. Aujourd’hui, je courais dans la forêt de Bord Louvier, j’avais eu la bonne idée d’attendre 8h pour partir parce que j’ai peur de l’obscurité des bois et forêts depuis que, l’été dernier, des chevreuils mâles très en colère m’ont chassée du bois de Givenchy en bondissant et aboyant autour de moi, juste avant l’aube.

J’ai couru une heure et je reconnaissais que c’était une belle forêt, très vallonnée, mais j’étais déçue de ne pas avoir vu de chevreuil. Je me suis formulé très clairement que ça manquait d’animaux par ici. J’étais encore peu renseignée, je prenais les souilles pour des grosses flaques.

J’ai cherché sur mon GPS le moyen de regagner la sortie.

J’ai voulu voir ce qu’il y avait au bout du petit sentier qui part à gauche sur la photo ci-dessous, dont la seule vue me donne désormais des frissons et une vague nausée. Je pensais que c’était un moyen de couper pour rejoindre une route goudronnée qui me ramènerait à Léry, du moins le chemin partait dans la bonne direction.

J’étais plus haut, à un endroit dont je n’ai pas et n’aurai jamais de photo, quand un tumulte de végétation piétinée a résonné dans le silence quelque peu inquiétant qui m’avait beaucoup frappée pendant cette heure de solitude absolue. Je dois sans doute d’être en vie à la présence incompréhensible d’un grillage le long de ce chemin : un sanglier noir, énorme (un sanglier) me chargeait. Je pleure et j’ai les mains moites en l’écrivant, alors même que je suis bien en vie dans ma chambre douillette de la Factorie, tant l’effroi est encore vif. Nous étions deux, le sanglier et moi, face à face dans une forêt où je mettais les pieds pour la première fois et dans laquelle il était chez lui, séparés par un mince grillage providentiel contre lequel il s’acharnait en faisant un vacarme inouï. Je ne pouvais pas lui dire qu’il n’avait rien à craindre de moi, que j’étais son amie et qu’il était très beau quand il était en colère ; soudain, ma manie de parler aux autres animaux m’est apparue dans toute sa vanité.

J’ai fait demi-tour et cessé de courir ; je marchais lentement, tête basse, me fiant aux seuls sons pour savoir si je devais me remettre à courir et cherchant des yeux un arbre auquel je me sentirais capable de grimper. J’ai tourné à droite, je savais que l’orée n’était qu’à quelques centaines de mètres, droit devant, mais le vacarme me suivait. Le sanglier a traversé le chemin devant moi ; j’ai continué d’avancer vers la sortie mais il ne s’enfonçait pas dans la forêt, il fourrageait furieusement dans un fourré à ma gauche. J’ai fait demi-tour et attendu d’être assez éloignée pour me remettre à courir, avec désormais la terreur de croiser d’autres sangliers tout aussi hostiles. Soudain je ne percevais plus la forêt comme un lieu de respiration, j’étais traquée. Comme le sanglier en cette saison de chasse, ni plus ni moins.

J’ai couru pendant une heure, je me suis perdue, mon GPS n’était pas sûr de lui. J’ai fini par m’apercevoir que je n’avais pas le choix : je devais reprendre le chemin où j’avais croisé Monsieur Furieux. Mes notions des territoires animaux sont très rudimentaires mais j’étais sûre qu’il n’était pas loin. Il y avait un vallon à ma droite et, alertée par le bruit, j’ai vu toute une harde (un sanglier, une laie et rien moins que cinq marcassins) en dévaler la pente. Mes jambes me portaient à peine. J’ai appelé mon père ; l’entendre me rassurait, même s’il était visiblement aussi effrayé que moi, et je lui ai parlé d’une voix forte pour bien faire savoir aux suidés qu’un humain était dans le coin. C’était la surprise qui avait fait paniquer ce bel animal de 150 kg : j’essaie toujours de faire le moins de bruit possible dans la nature pour ne pas en déranger la quiétude (teubée, diraient les jeunes). Puis je suis revenue à la civilisation, à laquelle je préférais jusqu’alors la sauvagerie. Je ne sais pas si j’oserai encore faire ce que j’aimais tant jusqu’alors, me promener seule à l’aube dans l’habitat des autres espèces. Je ne pense pas. J’ai pris la photo ci-dessous avant de regagner la Factorie, on y devine une infime fraction de la forêt, j’en tressaille encore.

De retour, j’ai fait quelques recherches et il s’avère que j’ai eu les bons réflexes. Pour ne citer qu’un article :

« Lorsque l’on se balade en forêt, il peut arriver de croiser un sanglier au détour d’un fourré. C’est rare, car le sanglier se déplace peu en journée, mais ça arrive. Dans ce cas, mieux vaut savoir comment réagir, notamment si c’est une mère avec ses petits. En effet, le sanglier fait partie des espèces qui n’attaquent que pour défendre leur progéniture. Et quand on sait que cet animal peut peser jusqu’à 200 kilos, il est préférable d’éviter de le mettre en colère…

Sommaire

  • restez calme
  • gardez vos distances
  • ne courez pas
  • grimpez à un arbre
  • zigzaguez

Faites comme si de rien n’était. Continuez à marcher tranquillement sans le regarder mais en prenant tout de même la direction opposée. Dans le cas contraire, vous lui feriez peur et il risquerait alors d’attaquer pour se défendre. »

Poésie batelière

Dans Je respire discrètement par le nez, je livrais un texte en forme de pochette surprise intitulé Poésie hippique et qui recensait 107 noms de chevaux de course. Le voici :

« Poésie hippique

Secretariat, Peintre Célèbre, Blushing Groom, Brigadier Gérard, Divines Proportions, Electrocutionist, Fanfreluche, Edredon, Joyau d’Amour, Nice Love, Fée Des Iles, Premier violon, Play It Again, Couleur Du Nord, Belle Allure, Under The Sun, Joyeuse D’Or, Salut Lisa, Magie D’Un Soir, Only Du Lys, Opinel Du Sceux, Odyssée De Féline, Night Du Lys, Otarie Du Rib, Orchestra Sautonne, Nuit De Mars, Oasis Charmeuse, Notre Guerrier, Modèle Du Clos, Nicotine Cébé, Noble Javanaise, Matin De Manche, Papy De La Potel, Paris Is Magic, Pocket Money, Produit Fier, Perfect Charm, Quelle Star, Quelle Fusée, Quetsche Magique, Quality Charm, Gogol, Crocolyrique, Csik To Cheek, Captain Beefheart, Quelle Fiesta, Vélodrome, Heart Of Love, Anthologie, Art Martial, Highest Dancer, Big Time, Lost Sun, Brave Pile, Antigel, Mon Ami Jean-Paul, Sunrise Spirit, Call Me Blue, Noble Emeraude, Nuit Torride, Noble Nénette, Porte Carte, Professional, Loufoque Dairie, Mon Vittel, Pin Up Honey, Princesse Vaumissel, Pin Up De L’Être, Passion Fatale, Petite Folle, Péché De Vigne, Phryne Du Dollar, Praline Du Lys, Planète Foot, Préférence, Quartz Super, My Cause, Sea Of Grass, Half Crazy, By Far, So Long, Rêve D’Empire, Testiglass, River First, Ras Tafarii, Flying Bomb, Rock And Roses, Trésor Précieux, Héritière Céleste, Momie, Double Dollar, I Love Loup, Earth Planet, Danse Du Soir, Si Sismique, Big Stormy Moon, Un Rendez-Vous, Bright Style, Âme Lune, Doctor Dance, Fil D’Or, Sport Complete, Le Bonheur, Régal Viking, Take And Run, Blonde Des Aigles, Fleur Enchantée, et j’en passe »

***

Aujourd’hui, je suis en mesure de vous offrir non pas 107 mais 197 noms de péniches que j’ai croisées sur les canaux d’ici, à savoir sur le canal d’Aire, celui de la Deûle et celui de la Scarpe.

(Ci-dessus, Jules Verne talonne Vega à la frontière d’Hénin-Beaumont et de Courrières.)

Quelques précisions :

– Je ne vais pas cesser de noter leurs noms dans mon carnet au prétexte que j’aurai posté cette liste ; elle n’est pas figée, c’est un travail au long cours.

– Aujourd’hui, je connais très bien certaines de ces péniches et les reconnais de loin ; hier, par exemple, j’ai dit « Ça alors, ce ne serait pas Ghost Sniper ? » J’étais surprise parce que je ne l’avais jamais vue à Santes auparavant. « Bisous à Beuvry ! » lui ai-je lancé. Je reconnais aussi très bien Memphis, Viking, Vega et, s’il peut m’arriver de confondre Pasadena et Savannah, c’est bien parce qu’elles s’habillent tout pareil et traînent dans les mêmes rades (essentiellement la plateforme multimodale Delta 3).

(Savannah entre Meurchin et, en face, Vendin-le-Vieil.)

– Je me suis prise de passion pour les péniches cet été ; je vous en ai d’ailleurs montré un certain nombre, notamment ici. J’ai commencé à relever leurs noms le jour où j’ai croisé Tchiki-Boum ; ce fut ce qu’il convient d’appeler un coup de foudre onomastique.

(Tchiki-Boum à Douai.)

Elle ouvre donc le texte inédit que voici :

Poésie batelière

Tchiki-Boum, Popette, Traviata, Stewball, Macumba, Kon-Tiki, Tida-Kira, Loukoum, Hudson, Pasadena, Savannah, Memphis, Portland, Kansas City, Denver, El Paso, Milwaukee, Oklahoma, Adelanto, Bethesda, Tunica, Lakota, Country, Bibifoc, Top Gun, Speed, Sméagol, Avengers, Alamo, Ravetea, Jama, Dahlia, Ghost Sniper, Radar Taupe, Furious, Tous-Nerfs, Azimut, Venera, Avary, Bayard, Dolax, Remacum, Kustrif, Zagor, Cripayo, Sosanto, Shelendo, Defey, Kerzel, Welfra, Cambio, Morena, Aldo, Doma, Jado, Anex, Pantra, Wiclo, DC Mosa 1, Ginard, Vega, Mondor, Faraday, Pouchet, Louise Michel, Masséna, Jules Verne, Surcouf, Rives de la Meuse, La Vézère, Amazone, Ardenne, Sermaizien, Tréport, Paris, Isola Doma, Isola Bella, St. Barth, Saona, Castille, Merina, Benguela, Smolensk, Smirnoff, Norway, Paraguay, Sherpa, Tabor, Kingston, Big Ben, Beverwaard, Biberach, Olako, Stoupan, Unesco, Esclave, Samaritain, Njörd, Jaël, Freyja, Apis, Osiris, Hermes, Morphée, Nemesis, Poséidon, Saturnus, Pégase, Psyché, Tantra, Deo Date, Uni Deo, Cum Deo, Dieu aboie-t-il ?, Ostara, ND du Perroy, Alizé, Athena, Blizzard, Libeccio, Corylophilda, Cougar, Espadon, Marlin, Cœur d’Océan, Oceanos, Oceanic, Nautica, Aquarius, House Boat, Workshop Boat, La Galère, Salto, Solist, Violento, Filou, Remuant, Turbulent, Surprenant, Trépidant, Chahuteur, Invincible, Diligence, Perpétuel, Imprévue, L’imprévu, Impuls, Probe, Prodest, Colporteur, Nomade, Destin, Le Temps, La Paix, Bon Espoir, Serenitas, Good Luck, Apocalypse, Armageddon, Ocarina, Carina, Ben, Kenza, Alain, Béatrice, Colas, Jessica, Gay, Priscilla, Melina, Léo, Sylvaine, Sébastien, Farida, Homer, Lydia, Marcel, Netty, Samantha, Cédric, Mélanie, Émilienne, Teddy, Gaëlle, Kendall, Lucette, Gaston, Johanna, Elizabeth, Natacha, MH, Aloha, Rudyange, Isajohn, Pa-My, Ber-Mel, Ben-Gus, Will-Teir, Jor-Ali, Ja-Dy, OK Fred et j’en passe

(Linge à Flers-en-Escrebieux.)

Notez que le dernier nom, OK Fred, ferait un super nom de cheval – comme bien d’autres, d’ailleurs.

(Tréport à l’écluse de Cuinchy.)

(Colporteur entre Annoeulin et, en face, Don.)

(Trépidant et Surprenant à Estevelles – leurs voisins sont Remuant et Chahuteur.)

(Denver à Bauvin – la photo est ratée mais je l’ai sélectionnée pour le plaisir de la légender.)

(Country entre Carvin et, en face, Harnes ; la photo est ratée mais j’aime ce nom et sa graphie – je ne suis pas en train de m’excuser, ok ? J’explique, c’est tout, rien ne dissone.)

(Marlin à Douvrin, un matin d’été très tôt.)

(Péniches à Beuvry, un matin d’été encore plus tôt tôt tôt)

Je ne poste pas mes 211 photos de péniches (à ce jour) mais seulement 11. C’est plus raisonnable et néanmoins très frustrant.

Nous, par hasard, dans l’univers immense

Aujourd’hui, j’ai découvert le terril 107 dit 4 d’Oignies, sis à Carvin. Il ressemble à ça depuis le terril 115 dit du Téléphérique, sis à Libercourt – la photo date d’un autre jour, plus nuageux. 107 n’est ni aussi petit ni aussi simple qu’il n’y paraît.

Il était un peu plus de 6h, ce matin, quand j’ai filé sur Mon Bolide et une longue route déserte, j’étais si joyeuse que j’ai chanté toutes les chansons qui me traversaient l’esprit et annoncé aux oiseaux que j’étais aussi libre qu’eux, il n’y avait pas de vent et les couleurs étaient tendres comme du sucre.

Puis j’ai slalomé à travers champs dans des ornières de tracteurs et j’ai fini par me trouver sur le flanc du 107, presque sans l’avoir vu venir tant la végétation était dense à son pied. Son exploration m’a ravie, je ne m’attendais pas à tant de splendeurs et merveilles, à tant de bois, de marais, de roselières,

ni à tant de lapins et de loriots stridents – trop vifs pour que je les prenne en photo, les oiseaux jaunes, contrairement aux lapins qui étaient encore au petit-déjeuner ou en pleine toilette.

Je me suis arrêtée plusieurs fois pour étudier le paysage et, à un moment, mon œil a été attiré par cette mignonne mini chenille. On devine sa taille en comparaison avec la samare de frêne floue dans le coin supérieur gauche de la photo.

J’ai eu, en voyant cette grâcieuse chenille, une espèce d’épiphanie : elle était là, à cet instant de sa vie, me suis-je dit, puis je me suis rappelé que moi aussi, j’étais là, à cet instant de ma vie. Personne ne savait que je m’y trouvais, il n’y avait aucune nécessité à ma présence en ces lieux (une heure plus tôt, je ne savais pas encore où j’allais me rendre) et je suppose qu’il en allait de même pour cette chenille. Elle se tendait vers moi, de temps à autre, pour preuve qu’elle et moi partagions ce hasard.

On vit des choses étonnantes et fortes quand il n’y a aucun congénère aux alentours ni aucune forme d’interaction à gérer, que l’on est disponible à ce qui nous entoure avec rien d’autre à faire que d’être là, en vie, dans l’odeur organique du sous-bois encore humide à cette heure matinale, entourée d’espèces qui tutoient la nature plutôt que de la détruire. Je me suis promis d’amener bientôt ici la seule humaine auprès de qui je peux vivre ce genre de moment avec le même abandon – et avec, en plus, un sentiment de complétude. Nous, par hasard, dans l’univers immense : la plus belle chose qui me soit jamais arrivée, si belle qu’elle a toute l’apparence de la nécessité.

Le monde entier un fantôme

Ce matin, quand j’ai ouvert les yeux et découvert que la ville était noyée dans le brouillard, j’ai renoncé à courir et sauté sur Mon Bolide avec mon appareil photo. Direction : l’eau. Il était 6h quand j’ai emprunté les berges du canal dit de Lens ou de la Souchez jusqu’à Courrières et la confluence avec la Deûle, que j’ai ensuite longée jusqu’à Pont-à-Vendin. Si le soleil s’est levé, je ne l’ai pas vu. Autant dire que je n’ai croisé aucun être humain tout au long de cette petite virée, mais des lapins, lièvres, grèbes huppés, canards, gallinules, foulques, hérons, cygnes, mouettes, loriots et une impressionnante colonie de pigeons installée sur le silo d’une coopérative agricole. J’ai pédalé en soufflant dans mes mains pour que mes ongles restent solidaires de mes doigts et cependant gribouillé dans ma tête les premiers brouillons d’un nouveau texte, que je vais (essayer d’) écrire avec une autrice dont je dévoilerai le nom s’il s’avère que nous parvenons à travailler ensemble – hier soir, au téléphone, elle m’a donné le top départ et je m’en réjouis tout autant que je crains de la décevoir.

Ici, nous sommes à Harnes.

Ici, à Courrières.

Ci-dessous, la confluence gorgée de brouillard. En image, ce n’est pas spectaculaire mais, sur place, l’impression d’un vide si vaste est au contraire assez vertigineuse.

Nous sommes maintenant au bord de la Deûle. Ci-dessous, les grues d’une entreprise de matériaux carvinoise dont le nom comporte ce mot que je trouve très beau : granulat.

La coopérative agricole de Carvin et une poignée de ses pigeons.

Un pylône old school dans les champs

Ici, je suis sous un pont qui s’appelle très officiellement le Pont Maudit d’Annay (oh la belle redondance !)

Des péniches d’Estevelles – l’une s’appelle Le Turbulent, une autre, Le Remuant.

Nous voici à Pont-à-Vendin.

Il m’a été très difficile de sélectionner ces photos – 17 sur 67, après une sélection intermédiaire de 29. Autrement dit, ne vous plaignez pas si vous trouvez qu’il y a en a trop. C’est déjà bien.

Aviaire (3)

Aujourd’hui, sur l’insistance de Carrie, je consacre une série de photos à mes amies les oies, qui vivent des heures très sombres sous la menace de H5N8. Je l’ai prévenue qu’il n’y aurait pas qu’elle dans cette série mais à ma surprise, elle ne s’en est pas offusquée : il faut de l’ombre pour qu’on apprécie la lumière, m’a-t-elle dit. Voici donc, dans un premier temps, des oies de Faches-Thumesnil, Ploegsteert et Rotterdam.

– C’est bon, maintenant, dit Carrie : fiat lux ! Le truc vraiment crétin, c’est que tu aies mis en ligne hier ta meilleure photo de moi. Celle où je danse.
– Je pensais que ça te ferait plaisir.
– Essaie de ne pas trop penser, à l’avenir : pose-moi les questions. Montre-moi sous mon meilleur jour, tiens, avec Ricah.
– Ok.
J’essaie de ne pas trop la contrarier. La voici donc avec son indéfectible amie Ricah, nageant innocemment sur son étang.

Ce genre de scène ne dure jamais très longtemps. Si Carrie est extrêmement patiente avec les pêcheurs, promeneurs, chiens et enfants, elle ne supporte pas que je m’attarde trop à la contempler : très vite, elle fonce sur moi, qu’elle soit sur l’eau ou dans l’herbe, en poussant des cris perçants.

Ça réjouissait beaucoup mon amour jusqu’au jour où, comme on le devine ci-dessous, Carrie a commencé à lui infliger le même traitement qu’à moi. On a vu alors mon amour battre son record de vitesse à vélo – elle devait son précédent record à un petit chien qui l’avait poursuivie en pleine campagne, près d’Estevelle, il faisait chaud ce jour-là et je roulais indolemment quand elle m’a dépassée à une vitesse que je ne lui avais jamais connue, et ce petit chien pas plus grand que mon pied bondissait derrière elle.

Carrie vient de me reprendre : « On n’est pas là pour parler de cette insolente », me dit-elle (elle trouve que mon amour ne lui témoigne pas assez de déférence). « Je veux une photo en noir et blanc, moi aussi, un truc qui me magnifie ». Voici :

Carrie est charismatique, une véritable meneuse ; elle ne comprend pas que je ne l’aie pas encore précisé ici, et à vrai dire moi non plus. Nous l’avons constaté : quand Carrie traverse le parc, c’est bien souvent flanquée de Ricah mais aussi de tout ce que l’étang compte de canards, poules d’eau et foulques. C’est une parade joyeusement cacophonique et s’il se trouve des humains dans les parages, ils s’arrêtent pour les regarder passer en riant avec admiration. Je ne dispose pas de photos qui en atteste mais je me rattraperai prochainement. « Tu n’as qu’à mettre une mini série de moi », me dit-elle à présent.

« Et profite de ta réclusion pour fabriquer un char à mon effigie comme celui d’Hergnies ». Eh bien, il ne me reste qu’à me mettre au travail…

Aviaire (2)

Les cygnes sont sujets à la grippe H5N8 (même si Homo Sapiens n’en parle pas parce qu’il ne les mange pas et ne les élève pas en batterie), aussi je poursuis mon hommage par une série qui leur est consacrée. Je n’ai pas hâte de me lancer dans ma série sur les oies parce que Carrie est de tempérament jaloux (et quelque peu narcissique), or je compte (contre son avis) ne pas choisir que des photos d’elle et de sa petite racaille chérie de Ricah. J’y viendrai pourtant très bientôt. Pour l’instant, donc, voici des cygnes

célibataires

en couple

en famille (les photos, prises alors que je courais, donc avec mon téléphone et des doigts moites guère assurés, sont de très mauvaise qualité)

gonflable (celui-ci vit à Londres)

et hippies, dans la célèbre communauté de l’étang du Brochet à Noyelles-sous-Lens.