La signalétique : une étude

En cette ère où la signalétique devient un considérable scotome de notre quotidien, j’ai décidé de modifier la date de ce billet initialement publié en novembre 2021, afin de rappeler à l’internaute de passage les raisons de cette pollution visuelle que l’on nous impose – du moins d’une partie de cette pollution, les panneaux pédagogiques thermolaqués étant en passe de prendre plus de place encore dans nos quotidiens que les panneaux de danger (il y en aura sans doute bientôt devant les boulangeries, pour notre édification).

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Ma passion pour la signalétique est bien connue. Il était temps que je lui consacre une étude un peu conséquente. Ci-dessous, un florilège de photos prises ces cinq dernières années, de la Belgique au bassin minier du Pas-de-Calais.

  1. poétique du panneau

Des gens bien repassés prennent place autour d’un long bureau avec des donuts et du café. Ils disent « Bon, aujourd’hui, nous allons réfléchir à une séquence de mots qui pourrait dissuader les usagers de notre pelouse / notre berge / notre terril de s’y mettre en danger. Quelle stratégie allons-nous adopter ? Il reste des touillettes ? » En effet, si l’on sort des modèles standard proposés par le Brico Monsieur des collectivités, de nombreux angles d’approche sont possibles, qui permettent à la signalétique de trouver toute son efficacité.

Notez les licences poétiques du panonceau ci-dessous : l’ellipse de la chose/l’individu interdit(e) et le mélange singulier-pluriel qui en découle, aux petits airs d’anacoluthe, attirent assurément l’attention.

L’anacoluthe est prisée par la signalétique – tant sur le plan grammatical que sur celui du contenu. On peut supputer que l’usager de l’étang ci-dessous, intrigué par les interdictions circonstancielles, sera forcément amené à s’interroger sur la pertinence de se baigner l’hiver, par exemple. Il s’agit ici d’en appeler à son intelligence – l’interdiction étant de toute façon de pure forme puisque la municipalité décline toutes responsabilités au pluriel en cas d’accident.

La suggestion du danger opère souvent bien mieux que sa formulation prosaïque. Un trou ne fait pas aussi peur que le vide. Par ailleurs, l’oxymore que présentent les termes présence et vide rend le panneau plus percutant que ne le ferait une expression aussi plate que Danger trous.

La redondance est une autre forme de pédagogie, sans doute moins axée sur la confiance que les formes étudiées plus haut.

On peut aussi, aux mêmes fins, exploiter tout un champ lexical : danger, interdiction, risque… Face à tant d’insistance, on se dit que décidément, ça ne sent pas bon. On ne pénètre pas.

Cependant, la concision n’est pas forcément une mauvaise option. Jugez par vous-même : ici, on ne vous fait pas un schéma pour vous expliquer la nature du danger – ce qui risque de vous tomber dessus n’est pas votre problème, tout ce que vous avez à savoir c’est que, derrière le panneau, c’est la mort. Ni plus ni moins. Et avec un point d’exclamation comme un poing dans le nez. Dissuasif, non ? Sans doute pas assez dans le cas qui nous occupe puisque manifestement la chose qui menaçait de mort a explosé. Comme le dit l’expression populaire, « Qui fait le malin tombe dans le ravin » et l’état de ce panneau est à lui seul une leçon pour qui serait du genre à passer outre les mises en garde.

Laisser planer le mystère nous assure que l’usager va rester vigilant à tout danger qui pourrait survenir. On le responsabilise. Ainsi, approchant du canal, il restera sur ses gardes, sachant que la menace peut surgir de partout, d’un canard enragé, d’une péniche à la dérive, d’une glissière de sécurité mal scellée, d’une berge effondrée, d’un pêcheur foudroyé (voir plus bas) + contagieux, etc.

Le message, de par sa double indistinction (de forme – écaillée + déteinte – comme de fond), est paradoxalement plus complet, vous l’admettrez, que le classique ci-dessous :

Ici, le double pluriel insiste sur le fait que des chutes de natures diverses peuvent se produire.

On vous l’explique :

2. la loi des séries

Vous connaissez sans doute la chanson Eveything Happens To Me, rendue célèbre par Chet Baker. Eh bien dites-vous que, quand on n’a pas de chance, on peut se trouver soudain entraîné.e dans une succession de postures douloureuses, sinon fatales, comme on le voit ci-dessous :

(« Chute ; Chute de blocs ; Glissement ; Feu de forêt ; Brûlure ; Intoxication ou asphyxie », nous annonce le panneau)

Telle avalanche de catastrophes peut aussi vous échoir chez vous, sur votre propre marche-pied – n’oubliez jamais que chaque seconde volée à la mort est un coup de chance (l’image qui clôt cette bande dessinée très édifiante me fait toujours frémir par son tragique)

et que si vous ne tombez pas en avant, vous pourrez aussi bien tomber en arrière – à moins que le danger ne soit suspendu au-dessus de vous comme la fameuse épée : pourquoi pas ?

Eh oui, on ne regarde plus ces arbres majestueux de la même manière une fois qu’on a vu l’avertissement : on est décillé pour toujours, arbre = danger.

Bien souvent, le danger vient du dessus. Voyez combien Somarail Track Solution Group MIP flippe sa mère de ce qu’il pourrait vous larguer sur le ciboulot, il en arrive à clignoter sur du papier plastifié : bonhomme bâton mitraillé, point d’exclamation dans un triangle jaune, main agitée sous votre nez, on sent ici une sincérité absente des messages étudiés précédemment. Ne pas donner à sa panique l’aspect policé d’un « c’est vous qui voyez » peut être une stratégie.

Mais revenons à notre loi des séries. Ne faites pas n’importe quoi avec les trains, je vous en conjure : ne sautez pas devant et ne montez pas dessus, malheureux. En toutes choses, faites preuve de bon sens.

Ayez toujours en tête notre bonhomme bâton, rappelez-vous comme il prend cher. Il n’a pas le temps de se relever

que déjà il retombe, foudroyé

– et même si parfois, il l’a bien cherché, le rôle de la signalétique est de le protéger de sa propre bêtise / maladresse.

CAS PARTICULIERS

3. la signalétique se soucie parfois des autres espèces

(Pas toujours, cf. chasse gardée / réservée, zone piégée, etc.) C’est au moins le cas dans cette rue de Gand, où les poissons risquent de mal respirer – normal, me direz-vous, puisque c’est une rue et non un canal, mais s’en rendent-ils bien compte ?

Quant à ce panneau, il protège les escargots de ceux qui voudraient les écraser avec un marteau (tout existe, vous savez, on n’imagine pas ce dont les gens sont capables).

4. la signalétique déjoue les stéréotypes

Ce panneau, par exemple – bien qu’à l’évidence il fasse référence aux Village People – rappelle que, contrairement aux idées reçues, les garçons homosexuels sont suceptibles de relations socialement acceptables et ne passent pas uniquement leur vie au sauna.

5. ça n’arrive qu’ici

Certains dangers spécifiques au bassin minier nous obligent à fabriquer des panneaux qu’on ne trouve pas dans tous les Brico Monsieur.

Avant de clore cette étude sur les stratégies de protection de la population civile par les collectivités, je veux attirer votre attention sur un aspect mal compris de la pédagogie signalétique. Oui, parfois on vous ment.

Mais c’est toujours pour votre bien. Considérez ça comme une alerte incendie, en quelque sorte. En vous exerçant à la discipline et à la prudence, vous allongez votre espérance de vie. On vous apprend à interroger la solidité du sol sur lequel vous allez poser le pied, du treuil qui tient le container suspendu au-dessus de votre tête, du mur auquel vous allez vous adosser. Cependant, je tiens à le rappeler, la collectivité décline toute responsabilité si l’un ou l’autre devait céder. Son truc, c’est la prévention, pas le ramasse-poussière.

de Liège (4)

Les gens les plus attentionnés, doux et généreux du monde vivent à Liège. Ils sont aussi passionnés, créatifs, curieux et bien d’autres choses auxquelles j’accorde beaucoup de prix. Quant à la ville elle-même, elle est étonnante, un peu folle, souvent très drôle ; elle est aussi comme un patchwork de villages disparates, superpose le très moderne au très ancien, les fait cohabiter parfois d’une manière qui fait sourire. Je ne le dis pas de beaucoup de villes mais je pourrais tout à fait y vivre. Avant de commencer mes longues journées d’immersion dans l’écriture et la fabrication de l’objet avec Catherine (et la formidable complicité de Benjamin, Emelyne et Charlyne), j’allais découvrir la ville d’une foulée tranquille ; hier matin, j’ai couru deux heures parce que ça semblait le meilleur moyen de voir le plus de choses différentes en un temps limité. J’ai d’abord longé le fleuve jusqu’à la confluence de la Meuse et de sa dérivation (on appelle outre-Meuse l’île sertie entre le fleuve et sa dérivation ; j’adore la toponymie liégeoise, comme la rue Hors-Château, par exemple, où vit mon amie Marion Renauld – ces prépositions très imagées me plaisent beaucoup, elles me rappellent un cours de linguistique où on réfléchissait au fait que si on peut dire « le pull est dans l’armoire », on ne peut pas dire à l’inverse « l’armoire est hors du pull » ; eh bien, à Liège, peut-être bien que si). Je courais donc au long du fleuve quand j’ai croisé Lisette Lombé, qui faisait une promenade matinale, ce qui était pour le moins surprenant (Liège = 200 000 habitants).

Puis j’ai gagné le parc de la Chartreuse, que j’avais déjà visité deux jours plus tôt et qui m’avait complètement subjuguée, avec ses bâtiments à l’abandon plus que délabrés mais dont l’accès n’est pas interdit par voie de panneaux, parpaings, grilles et autres empêchements si français mais laissés à la disposition et à la responsabilité du public, ce qui est tout de même nettement moins infantilisant.

La ville a renoncé à vendre le site à des promoteurs après qu’il a été occupé par des habitant.e.s – qui se relayaient pour lire La Chartreuse de Parme en entier (Catherine en était, et Charlyne, et Christine Aventin, que j’ai rencontrée), parrainaient des arbres, organisaient des performances, etc. La population a obtenu gain de cause. On peut donc toujours visiter les bâtiments désaffectés, à ses risques et périls.

Hier des bruits m’ont fait peur, je me suis enfuie dans les bois et me suis soudain rendu compte que je me trouvais au sommet d’un rempart. Si, vu du ciel, le dessin du fort a l’air simple, on s’y perd facilement, notamment parce que la nature a repris pas mal de ses droits : d’une part, elle limite la visibilité, d’autre part on y trouve tant de sentiers – plutôt des lignes de désir, à vrai dire – que la perception du site au sol en est bouleversée.

Cette anecdote prouve qu’on ne tombe pas du rempart au prétexte qu’il n’y a pas de panneau danger.

Retour au bord du fleuve, où l’on rencontre donc des poétesses mais aussi des canards peu commodes et

des gens tous nus qui jouent à saute-mouton.

Autre colline, autres visions flippantes : ici, une cage qui m’a évoqué les montreurs d’ours, que j’ai découverte du haut et à laquelle on accède par ce passage.

Nous sommes maintenant à proximité de la Citadelle, sur ce qu’on appelle les Coteaux ; ci-dessous, on aperçoit depuis lesdits un terril que je n’ai pas eu le temps de visiter (ce sera pour la prochaine fois).

Il y a aussi à Liège un goût des passerelles, dont les fidèles lecteurices de ma rubrique National Géo savent combien je le partage.

Depuis la Citadelle, on a une vue particulièrement impressionnante sur la ville ; ici, au lever du soleil. (Une réalité que je ne peux écarter pour la beauté du paysage, cependant, c’est que toutes les collines boisées sont peuplées de sans-abri en tente, parfois en campements entiers ; on en découvre au détour des lacets, plus ou moins visibles depuis les sentiers ; la police ne les ennuie pas, me dit-on, et pour cause : tant qu’ils restent là, les touristes ne les voient pas.)

Une autre passerelle que j’ai beaucoup aimée, outre-Meuse.

Pourquoi écrivais-je que la ville est amusante ? Eh bien, si nous sommes d’accord pour dire qu’une grande ville est toujours un peu en travaux, généralement elle planifie les chantiers de manière à ne par causer sa propre paralysie. Liège, non : le tracé du tram défini, on a commencé à creuser partout en même temps, de sorte que voitures, vélos et piétons naviguent à vue au milieu des trous. Comme le disent mes amies liégeoises : Tant qu’il y a des trous, il y a de l’espoir ; une fois que les constructions sont sorties de terre, tu n’as plus qu’à pleurer.

Une vue de la fac de philo, qui apparaît en tout petit dans notre livre-objet ; j’ai intitulé la photo La phénoménologie de l’esprit.

Bref, I

Liège. I’ll be back soon, c’est sûr…

Californie 8

Mon hier soir, qui est celui d’avant-hier sur un autre continent, après une nuit blanche dans le ciel, le crépuscule s’est présenté en ces termes par la fenêtre de notre chambre :

Et ce matin, qui est en fait hier matin, j’ai couru à Koreatown,

où, comme presque partout dans cette ville, les disparités les plus spectaculaires cherchent désespérément des témoins mais n’accrochent aucun regard sinon celui des profanes que nous sommes, nous, touristes – intrus (We buy houses cash, dit le panneau). Les Angelenos répondent à notre effarement que les sans-abris ne nous feront pas de mal, comme si c’était ce dont il s’agissait ; que des êtres vivants soient réduits à de telles conditions de vie ne semble pas les affecter mais si c’était le cas, comment pourraient-ils vivre là de toute façon ?

Puis nous avons traversé Beverly Hills (et ses villas démesurées au faste parfois grotesque habitées quelques semaines par an mais dont des agents de sécurité armés +en Jeep assurent la surveillance, le reste du temps), La Brea, Melrose,

où cette affiche nous a fait rire aux éclats.

Nous sommes allées voir l’un des sites où David Lynch a tourné Mullholand Drive, les appartements Borghese où vit Betty.

Ensuite de quoi nous avons voyagé – presque 18 heures pour ma part, de LA à Londres à Lille à Bailleul, d’abord avec mon amoureuse puis seule puis avec mes co-Vertébrale(s). J’ai vu le soleil se lever assise plutôt qu’en courant.

Et maintenant, c’est une autre expérience qui commence à la Villa Yourcenar.

Californie 7

Quand je cours, je ne porte pas mes lunettes. La première fois que j’ai vu cette préconisation peinte sur un trottoir, j’ai cru qu’il était écrit NO DOLPHINS.

Parfois aussi, je vois très bien mais je ne comprends pas. Valentina et moi avons fini par nous renseigner sur ce nom (commun ? propre ?) que l’on voit un peu partout à LA (je ne dévoilerai pas toutes les choses ridicules que nous avons imaginées) et nous nous sommes senties très bêtes : X pour Cross, Xing pour Crossing.

Mélange de pubs sur la route du Zebulon.

Comme s’il n’y avait pas assez de millions de palmiers dans cette ville (sans compter leurs ombres),

on en voit aussi beaucoup peints sur les murs – comme ici, à Venice.

Parmi les choses que je voulais absolument faire, il y avait : marcher au bord de la mythique Los Angeles River. J’ai exaucé ce vieux rêve pendant que Valentina faisait ses balances au Zebulon.

Il est arrivé un moment où je marchais entre la rivière et l’autoroute.

Car, s’il y a une chose qui n’est pas qu’une légende, c’est que des autoroutes coupent littéralement la ville. Je n’ai vu aucun endroit, en revanche, qu’on ne peut atteindre à pied comme je l’ai lu à divers endroits. Je chercherai mieux, la prochaine fois.

Quelques reflets de buildings sur des buildings à Downtown, où nous sommes retournées – c’est mon expérience la plus marquante d’ici bien que très loin d’être le lieu que je préfère… On ne s’y sent pas du tout à Los Angeles, ni nulle part ; on se croirait à Gotham City (cf. The Joker).

Une autre expérience que j’ai tenu à tenter, ce qui a fait rire nos ami.e.s ce soir, c’est le bus. Tout le monde m’avait dit que les bus étaient des coupe-gorges. Tout le monde ici a le cerveau déformé par la culture de la voiture et voit des dangers ou des impossibilités partout. Nous avons pris la ligne 7 de Santa Monica à Koreatown. C’est aussi une manière intéressante de voir des rues, des rues, des rues. Les coins de rues ci-dessous, en revanche, ont été photographiés alors que nous marchions.

Le ciel est TOUJOURS très fréquenté à LA. Ci-dessous, à Santa Monica,

dont voici la jetée.

Et quelques miles au sud, voici Venice.

Ce que je voulais y voir, c’était surtout les canaux qui sont le décor d’un roman noir de Bradbury que j’ai adoré il y a une trentaine d’années (moins quand je l’ai relu il y a deux ou trois ans), La solitude est un cercueil de verre.

Ce quartier qui était à l’époque en déshérence est aujourd’hui l’habitat de quelques riches et de nombreuses aigrettes.

Pour finir, voici un portrait de Valentina tiré de quelques nouvelles séries de photos à destination de la presse que j’ai faites ici, en extérieur et dans notre chambre d’hôtel à Koreatwon :

Je lui ai demandé de me rendre la pareille, puis de me rendre l’appareil parce que ses cadrages ne me convenaient pas ; je me sentais mal dans mon corps, qui a pas mal souffert d’une nourriture vegan trop succulente pour la modération. Elle a photographié mes indications sans que je le sache et la série qui en découle nous fait beaucoup rire. Surtout cette photo, qui ne servira pas malgré mon magnifique T-shirt Permanent Draft.

Californie 6

Un aperçu de notre performance à San Francisco pour le Wattis Institute for Contemporary Arts (merci à Marielle pour cette photo) ; le public n’était pas seulement face à nous mais tout autour.

Hier, j’ai fait battre tous ses records de marche à mon amoureuse, ce qui ne s’est pas fait sans ampoules et crampes, pour profiter pleinement de notre journée off à San Francisco. Nous avons marché de Mission au Golden Gate Bridge, ce que tout le monde nous avait dit impossible. En chemin, nous avons vu Castro, le fameux quartier LGBTQIA+ et notamment ce cinéma que l’on voit beaucoup dans le biopic de Harvey Milk (et qui annonce ces jours-ci un chef d’œuvre d’Altman de 1973, The Long Goodbye, et non un stupide film produit par N*****x).

Au fil des rues en pente forte, on découvre de nouvelles perspectives sur la baie.

On descend une colline de pins au parfum délicieux pour découvrir Alcatraz

puis le fameux Golden Gate Bridge, au pied duquel Kim Novak feint de se suicider dans Vertigo, mon Hitchcock préféré (je l’ai déjà vu quatre fois mais quelque chose me dit que la cinquième fois est proche).

Puis nous sommes revenues à Los Angeles de nuit, survolant son tapis de lumières apparemment infini. Nous sommes désormais à Koreatown.

Californie 5

Voici notre hôtel à San Francisco, un lieu hitchockien, d’un autre temps. C’est de son salon que j’écris ce billet en prenant mon petit déjeuner ; la musique est le requiem de Mozart, ce matin, mais de manière générale, il y a de la musique classique, des fruits et des boissons chaudes à toute heure du jour et de la nuit dans ce double séjour très chargé visuellement.

Nous sommes arrivées avant-hier soir. Valentina dans la hall d’entrée, avec sa camomille.

Moi, un peu fatiguée manifestement, dans le salon.

Hier matin, ma première course à pied franciscanaise m’a menée au Bay Bridge (le Golden Gate, c’est pour aujourd’hui, si tout va bien).

Divers types d’habitats se côtoient aux abords des échangeurs.

Après quoi j’ai traversé des zones interstitielles infréquentées. San Francisco est un paradis pour les joggeurs, avec ses larges trottoirs déserts tôt le matin (ici les magasins ouvrent à midi, avant ça la vie est au ralenti et on est bien tranquille).

Il est quasiment impossible de photographier décemment Mission, la rue mexicaine où on se croit véritablement au Mexique (et où se trouve mon restaurant vegan préféré au monde, également mexicain), tant elle est profuse et animée, impossible de rendre compte de sa splendeur décrépite où se bousculent des musiques fortes et joyeuses. Impossible aussi de rendre justice à la beauté de l’architecture de cette ville. Alors que je courais, je me disais que j’aurais pu prendre chaque maison en photo, il n’y en a pas deux identiques.

Où est kitty ?

Une ville de tramways, au ciel arachnéen.

Une ville de fresques.

Hier soir, nous avons donné notre troisième performance de Permanent Draft, après Ravenne et Londres, dans l’ancien cinéma ci-dessous, sur Mission Street.

Ça fera onze mois demain que j’ai contacté Valentina sur Internet pour lui dire que j’aimerais la connaître. Si on m’avait dit alors que onze mois plus tard je serais sur scène avec elle en Californie… Demain, nous fêterons la magie de cette vie au Zebulon, à Los Angeles.

Installation avec les techniciens du lieu, l’après-midi. Plus tard, après les concerts, nous irions boire un verre avec la sœur d’une de mes meilleures amies, que je n’avais pas vue depuis trois ans et qui vit ici depuis dix ans, et avec un de ses amis.

Californie 4

Devant quoi posons-nous ?

Devant une gated wilderness – l’expression est de moi, composée du terme gated communities, qui désigne les enclaves résidentielles pour riches, et du terme officiel d’ici pour désigner les parcs naturels sous clé, urban wilderness, un concept que je ne connaissais pas encore et qui semble très californien : ces collines, habitat de nombreuses espèces, parmi lesquelles les ours et les ratons laveurs, sont accessibles au public humain jusqu’à 22h, après quoi les grilles sont fermées.

On n’a pas le droit d’y apporter son arme à feu – comme à l’aéroport, ce dont nous nous sommes beaucoup amusées : comment est-on censé protéger sa famille dans l’avion ? Une conductrice de taxi hippie venait de nous dire que le monde ne tournait pas rond et que désormais on n’avait plus le droit, dans certains états, de tirer sur les intrus sur son propre terrain (elle a employé le mot murder, tranquille) ; ce qui, a-t-elle précisé pour nous rassurer, ne l’empêche pas d’aimer son pays et Dieu. Ouf…

Mais une fois qu’on a franchi la grille, si l’on fait abstraction des hélicoptères omniprésents, on est bien, dans la gated wilderness.

Et si nous n’avons pas eu la chance de croiser des animaux sauvages, certains restes de boue scellent notre cohabitation derrière les grilles de la civilisation.

Nous avons discuté avec diverses personnes qui attestent la présence fréquente d’ours dans leur jardin dans ce quartier que nous avons choisi mais je n’y ai même pas vu l’ombre d’un raton laveur, sinon ces traces de pas.

Sortons de la gw, revenons à la végétation urbaine ordinaire, dont voici un très modeste échantillon, car les rues ici sont luxuriantes. Le jardin typique comporte au moins des palmiers et des orangers ou des citronniers.

Pas de chaussures, non, du moins pas par paires, mais des chaussettes – c’est mieux que rien.

Et parfois quelques extravagances.

Et maintenant, nous sommes à San Francisco, c’est parti pour de nouvelles aventures. Ce soir, on travaille : Permanent Draft poursuit sa tournée internationale.

Californie 3

Oui, on peut marcher à L.A., on le voit d’ailleurs sur ces panneaux : le bonhomme qui marche sur la montagne et celui qui marche sur l’épicerie en témoignent. Comme on me l’avait dit, les seules personnes qui se déplacent à pied dans cette mégalopole sont les sans-abris, les personnes qui parlent toutes seules et quelques excentriques. Ce matin, alors que nous descendions de chez nous, à l’extrême nord d’Altadena, au pied des montagnes, jusqu’au sud de Pasadena, quelques hurluberlus nous ont emboîté le pas et nous avons imaginé arriver à Malibu à la tête d’une armée de freaks.

J’initie Valentina à ma manière de découvrir les villes ; elle apprécie beaucoup, malgré les ampoules. Au fil des rues, j’ai vu des échantillons des différents habitats qui m’attirent depuis toujours ici, les maisons en adobe ou en bois, les grandes demeures grandiloquentes et les petites bicoques délabrées, les rues sinueuses et les rues en damier, le plat et le (parfois très) vallonné.

Aujourd’hui, nous avons résisté à la tentation du pédalo sur Echo Parl Lake.

Nous avons vu des oies du Canada, des foulques exactement semblables à celles de chez nous et une aigrette à l’air suspicieux mais qui, contrairement à celles de chez nous, ne fuit pas à l’approche des humaines.

Ici, un bâtiment que j’aime beaucoup parce qu’on peut se croire dans les années 1920 quand on fait abstraction de celui qui se dresse derrière lui, mais que Valentina déteste.

Quand nous l’avons atteint, nous venions de surmonter notre peur en traversant une zone parfaitement hostile et entrions dans le quartier dont je m’attendais contre tous avertissements à ce qu’il soit rassurant mais qui s’est avéré le plus flippant que j’aie jamais vu : Downtown. En tout cas, c’est assurément le quartier le plus étrange et le plus inquiétant de L.A. – et je ne veux même pas parler de Skid Row et de ses 15.000 sans-abris dont le tentes bordent les rues de part et d’autre, à quelques pas des plus grandes fortunes de Californie. Le mélange de misère et de capitalisme effréné paraît encore plus choquant ici qu’à Paris, où déjà il me répugne infiniment.

Nous avions choisi pour destination The Last Bookstore, immense librairie-disquaire aux plafonds d’opéra, un lieu d’un autre siècle qui vend notamment des livres rares et signés. Je m’attendais à un centre-ville typique, à cause des buildings que l’on voit depuis toute la ville et c’était un peu le cas, certes, mais comme dans un film post-apocalyptique. On ne s’en douterait pas sur l’image ci-dessous mais Downtown est un coupe-gorge géant où même les commerces franchisés donnent un frisson d’effroi, Starbucks crasseux et magasins de baskets déserts, où les cinémas qui ont vu passer sur des tapis rouges les plus grands acteurs des années 1920 à 1950 sont devenus des prêteurs sur gage miteux ou autres établissements interlopes, quand leurs porches ne servent pas simplement d’abri de fortune semi-meublés. Quant à l’atmosphère qui règne sur ses rues désolées, un volet de fer sur trois baissé irrémédiablement, elle passe toute description. Downtown L.A. est une vision de cauchemar – Valentina acquiesce, elle aussi pense que c’est ce dont il s’agit. J’ai traversé ce cauchemar, je l’ai habité pendant quelques heures avec un sentiment mélangé d’effarement et de fascination. Cette expérience restera sans doute la plus marquante de mes explorations urbaines ; même Hollywood Boulevard ne m’a pas autant bouleversée. On est là dans une réalité qui rejoint tant de films d’anticipation bien connus qu’on est subitement coupé de toute réalité extérieure – au point que notre passage à The Last Bookstore m’a évoqué ces scènes de films où des personnages se réfugient dans des bâtiments luxueux assaillis par toutes sortes de menaces terribles. Dehors règne rien moins que le chaos.

Autant dire que je n’ai pas osé prendre de photo à hauteur d’humain.e – à part celle-ci et deux ou trois autres qui ne rendent rien, à la nuit tombée.

Californie 2

Tout le monde me disait qu’on ne POUVAIT pas marcher à Los Angeles ; j’ai au moins prouvé à Valentina que c’était une légende urbaine. Hier, nous avons marché vingt kilomètres. Nous avons même vu, en chemin, un petit bout du Walk of Fame, avec ses étoiles, ses tentes et ses cabanes en bâches, habitat de sous-abris par dizaines ; une femme était étendue sur l’étoile de je ne sais quelle starlette oubliée, les entrées de cinémas avaient l’air de sex shops miteux. Mais il y a de la beauté aussi, à LA et contrairement à ce qu’on me prédisait depuis des décennies, je ne suis pas déçue. Quelques photos de touriste :

Griffith Observatory depuis Hollywood

Hollywood depuis Griffith Observatory

Downtown depuis les collines, dans le smog

Un aigle parmi des dizaines

Coyotes de Los Feliz

Hélicoptère sur Sunset Boulevard

Sunset sur Sunset