Kitsch et lutte des classes : une introduction

Texte du 10 janvier 2017

« À l’issue d’un débat de plusieurs mots sur les Rideaux et Voilages, il m’est apparu que j’aimerais réunir un groupe de travail pour étudier les liens entre kitsch et lutte des classes. Si, comme moi, vous n’avez aucune compétence particulière pour aborder ce passionnant sujet, n’hésitez pas à postuler pour m’accompagner dans la grande aventure socio-esthétique, dont je subodore qu’elle sera très expérimentale et empirique. »

Les angles d’approche se sont vite multipliés : à la rubrique des Rideaux et Voilages se sont ajoutées celles des Chalets du Nord (que j’aurais pu appeler L’appel de la montagne, et qui comprend également les sabots de façade, puits et moulins, pompes à eau manuelles non alimentées et autres ornementations rustiques), les décorations animalières de fenêtres et de jardins, le toilettage des arbres, etc.

Extraits d’un manuscrit en cours d’écriture (ça fait trois ans que je le reprends puis le repose pour partir vers autre chose, etc. mais j’ai bon espoir d’en venir à bout un jour).

« Comment appelle-t-on le type de maisons que les habitants des petites villes entretiennent au bout de leurs râteaux, de leurs perceuses et de leurs balais ? Il existe une terminologie limitée de l’habitat ; l’on parlera d’une maison ouvrière, bourgeoise, victorienne, Queen Ann, Greek Revival, de maître, de bourg, de ville, 1930, pavillonnaire, Bâtir, bel-étage, G.M.F. (Grande Maison Familiale), etc. Si cela ne tenait qu’à moi, chaque variante d’habitat disposerait d’une dénomination honorable. J’apprendrais le glossaire complet. Mais j’échouerais toujours à traduire la complexité du parc immobilier que présentent les petites ville, de même que j’échouerais à susciter, chez qui ne possède ni le glossaire ni le plan de la ville, une fascination semblable à la mienne.

Aucun lexique ne saurait rendre justice à la diversité des combinaisons (fenêtres, toitures, jardins, parements, etc.) que l’on peut observer dans les lotissements, ni encore moins à la créativité de leurs habitants. Les rares maisons restées à l’état brut s’y distinguent par leur sobriété et par leur assomption d’une certaine rugosité ; leurs occupants acceptent avec philosophie la vérité nue de leur condition, celle de vies toutes pareilles répétées à l’infini dans des petites boîtes toutes pareilles : des vies de statistiques. Tous ici ont trouvé une place dans le labyrinthe de rues indifférenciées, reconnaissants d’échapper à la crise du logement dans ces cubes dont de nombreux commentateurs blâmaient, à l’époque de leur construction, la déprimante uniformité. Aujourd’hui, des agences immobilières revendiquent une exclusivité pour la vente de tels cubes.

Les voisins condamnés au même ne se fondent pas dans un tout indivis. Ils tâchent de se distinguer par les travaux manuels, modifiant leur petite boîte d’origine autant qu’ils le peuvent, parfois par une excentricité paysagère débridée. Certains propriétaires couvrent de pierres, de brique ou de céramique les parements d’origine, peignent les briques en couleurs pastel. Les plus audacieux tâchent de transfigurer radicalement la boîte, creusent des niches de saints ou fixent de fausses gargouilles à leur façade, dessinent sur leurs pelouses des jardins français, anglais, japonais, creusent des mares, érigent des statues, des maquettes de moulins à hauteur d’épaules, taillent leurs arbres comme des caniches. Il en est qui transforment en chalet suisse leur maison apparentée bel-étage ou G.M.F., d’autres qui règnent sur un Versailles miniature, des nains de jardin pour vassaux ; d’autres encore entretiennent une minuscule ferme en ville, cultivant leur potager au milieu d’accessoires rustiques tels que botte-cul, lampe à pétrole ou pompe à eau manuelle. »

Voilà qui délimite à peu près mon champ d’étude – il s’agit, je le précise pour qui ne me connaîtrait pas du tout, d’une parodie d’étude, l’académisme étant l’une des choses les plus mortifères que je connaisse, et son sérieux l’une des plus ridicules. Cette rubrique rend hommage au kitsch avec beaucoup de tendresse et sans condescendance aucune – cela aussi, je le précise pour celles et ceux qui ne me connaîtraient pas et qui tomberaient sur cette page par erreur, mal dirigé-e-s par des mots-clés dont elles/eux et moi n’aurions pas le même usage.

Nomenclature (texte du 20 janvier 2017)

« Certains d’entre vous me réclament à cor et à cri des Rideaux et Voilages à motifs de flamands roses. Je vais vous expliquer pourquoi ce n’est ni possible ni pertinent dans le cadre de notre étude non sociologique sur le thème « kitsch et lutte des classes ».
J’y vois l’occasion de rappeler ici qu’il y a kitsch et kitsch. Il existe ainsi un kitsch prolétaire, émouvant (d’aucuns diraient « déprimant » mais je me contenterai de ce terme neutre) et dont les fleurons sont assurément le dauphin et le chien, cependant que le deuxième, appelons-le kitsch bourgeois-bohème, correspond aux codes graphiques en vigueur et a pour mascotte le flamand rose et pour fruit l’ananas, du moins depuis quelques années (car le bourgeois-bohème est moins fidèle à ses icônes que ne l’est le prolétaire).
Or, le bourgeois-bohème n’accroche pas, sur ses fenêtres, de Rideaux et Voilages à motifs – le bourgeois tout court, n’en parlons pas : ses fenêtres ne racontent rien du tout, elles sont d’un ennui prodigieux. »

L’appel du large

De même que les nombreux Chalets du Nord observés dans la métropole lilloise révèlent un très fort appel de la montagne, les fenêtres et les rues d’ici dénotent un appel tout aussi puissant du large. Voici un modeste échantillon des différents aspects que revêt cette nostalgie (non pas, dans ce cas, le regret mélancolique de ce qui fut mais celui de ce qui n’est pas ici).

1. bateaux

a – voiliers

de bureau

vraiment gros et grand

presque aussi gros et un peu moins grand

juste un peu moins gros

idem (pour autant que je puisse en juger à cette distance)

déjà pas mal

de taille respectable

+ vrai bateau

racé

en coquillages

+ mouettes

b – chalutiers

c – navire de croisière à voile

d – paquebot

e – régates

grande

plus modeste

bof

la plus grande régate de la métropole lilloise a lieu dans une fenêtre qu’il est impossible de photographier intégralement parce qu’il y a toujours des voitures garées devant (ça se passe à moins d’une encâblure de l’usine Cargill à Haubourdin) ; par défaut, voici un petit aperçu flou en vue immersive sur le site de cartographie en ligne :

2. phares

presque véritable

+ dauphins + camion de pompiers

+ marins

+ mouettes

+ mouettes + dauphin + corail + bateau en bouteille + boule à neige Sacré-Cœur de Paris + statuette mère et fille assises dans un coquillage géant (à leur échelle) + Rideaux et Voilages fleuris

3. autres

ancre véritable

fédération du Nord pour la pêche et la protection du milieu Aquatique avec A majuscule

Au Grand Large, bateau-école de Lille

raie

hippocampe

Arbres du Nord : Imagin’Hair

Non, je ne commence pas une série sur les enseignes de coiffeurs les plus pourries, oubliez Posi’tif, Légend’Hair et le très sophistiqué Capilosophie, je n’ai pas envie d’être poursuivie en justice – ni dans la rue avec des ciseaux. Je vous propose un catalogue non exhaustif (il y aurait matière à ouvrir un blog spécial toilettage végétal), une série qui vous donnera des idées pour tailler vos propres arbres.

Je vous jure, le salon ci-dessous ne m’intéresse pas, je ne trouve pas le jeu de mots Bienvenue sur T’Hair particulièrement remarquable, astucieux ni lourd : aucun jugement. Ce qui m’intéresse, c’est cet arbuste tire-bouchonné qui orne le rond-point, évidemment.

coupe canine (// toilettage)

pompadour

coupe radicale

rajout

pompon

tout rasé

coupe barcelonaise

mystique

Marge Simpson (x 2)

bear (bébé ours)

autre bear (papa ours)

frisettes

frange

laisse pousser depuis peu

laisse pousser depuis longtemps

chignon

caniche

Buckingham Palace

Bert 1 (face)

Bert 2 (dos)

géométrique

Tintin