Danny et moi faisons une démonstration pour mon amour : il court deux longueurs d’enclos, en agrémentant son trot de ruades facétieuses. Puis il est énervé alors il se tortille, court derrière sa queue, se mordille les mollets, avant de s’étendre un moment. Finalement, il se relève et reprend son activité principale : il mange sa pâture.
Mon amour comprend où je l’emmène dès que nous nous engageons dans la rue Pénible Debout – c’est une rue de Sallaumines qui nous amène à nous poser une question : qui écrit les panneaux de signalisation ?
En chemin, nous croisons ce vide qui ne demande qu’à être investi.
Nous poursuivons ainsi jusqu’au terril maudit, où mon amour cède à la curiosité : elle accepte que nous poursuivions notre exploration. En cherchant la masse blanche de la vue satellite, nous empruntons un chemin que nous ne connaissions pas, nous plions pour passer sous des branches, et soudain, je devine que nous sommes à quelques mètres du campement. Il est là, en contrebas, je reconnais la paroi rocheuse couverte de mousse au sud-ouest. Mon amour respire mal alors je descends la première. Puis je la regarde qui hésite là-haut, et elle me rejoint.
Nous examinons l’antre. Les outils ont disparu – marteau, massue, pince, etc. – de même que la gamelle du (supposé) chien. Il est parti, commente mon amour, je n’ai plus du tout peur. Jusqu’à ce que nous tombions littéralement sur un os et que la nausée la gagne. Ci-dessous, le campement vu de loin
et sa paroi rocheuse couverte de mousse, de fougères et de quelques détritus.
Quand nous quittons le site, nous sommes heureuses de trouver une prairie fleurie – il me semble qu’il s’agit de giroflée jaune, où sourit un coquelicot solitaire.
Mon amour est de retour sans enfants alors ce journal de confinement risque de ne plus être aussi régulier.
La musique du jour
La musique d’Isnaj Dui est une musique parfaite pour écrire – instrumentale, oui, mais aussi mystérieuse, inventive et bruissante de multiples textures (à base d’électronique, de flûte et de dulcimers maison). Je ne saurais quel titre choisir alors je décide que ce sera celui-ci, parce que c’est le premier que j’aie entendu d’elle, il y a des années maintenant.
Le gant du jour
a un aspect intéressant. Il n’est pas du même plastique que les autres. Il semble plus robuste : il les enterrera tous, dans quelques millions d’années.
Le vide du jour
est un vide de Pennsylvanie lensoise
Des vieilles photos que j’ai prises
en 2018 et 2019, par des jours orageux, à Wattignies, Villeneuve-d’Ascq et Seclin. Elles apportent un peu de fraîcheur en ce jour sans nuages.
Ce matin, les jambes du lycée passent très tôt, l’air est encore frais, Dame Sam et moi (qui n’avons, cette nuit encore, dormi que deux heures) chantons un vieux tube de Fleetwood Mac dans la cuisine en préparant un thé aux agrumes, Carol-Anne fait de nouvelles épines dont on peut apercevoir le vert tendre, à droite sur cette photo.
Parmi les bonnes surprises du jour, mon caviste a rouvert ses portes. Je m’en réjouis démesurément et m’aperçois qu’au fond, j’ai besoin de repères rassurants, moi aussi. Quelques mètres plus loin, en attendant mon tour devant le Petit Casino, je discute avec une vieille dame. Je porte un masque et je me tiens à cinq mètres d’elle. Drôle de vie, hein ? je lui dis. Elle me demande si je suis de Lens et je trouve à la fois amusant, étonnant et réjouissant de dire oui. Elle est d’Éleu-dit-Leauwette : C’est à côté, dit-elle, et je souris parce que Lens et Éleu partagent le même code postal. Par ailleurs, j’ai fait quatre années d’école primaire à Éleu. Je lui apprends l’existence du marché de la Grande Résidence, elle s’en réjouit alors moi aussi. Et parmi les bonnes surprises de mon jardin (dans lequel je passe mon tout premier printemps), il y a pas mal de muguet, un petit chat errant que je ne présente plus, une dizaine d’autres, et un arum.
Les salades que mon amour et moi avons plantées se développent à une vitesse folle. Pour rester dans la thématique du jardinage,
Le gant du jour
aperçu à proximité du terril maudit.
Le vide du jour
est quasiment une image touristique : celle de la très belle gare de Lens, dessinée par l’architecte Urbain Cassan et inaugurée en 1927. On voit bien, quand son parvis est dégagé, qu’elle est en forme de locomotive à vapeur ; à l’intérieur, des fresques en mosaïque d’Auguste Labouret représentent les mines. Lens n’est pas seulement une ville minière mais aussi une ville d’Art déco. Elle a de petits airs balnéaires par endroits, et à d’autres, on se croirait au Far West, puis on s’engage dans une rue de maisons en meulière et soudain on est en Pennsylvanie, et hop, voici d’immenses maisons à colombages. Magique. (La preuve en photos très bientôt.)
La musique du jour
est pour ce phénomène complexe et lumineux que j’appelle ici mon amour (alors que son nom même est une musique). Pour elle qu’il me semble connaître depuis avant le big bang et qui pourtant me surprend chaque jour. Pour elle qui est entrée dans ma vie avec son irrésistible déhanché, son « à vos risques et périls » et sans qui le monde aurait l’air d’un hall d’aéroport en temps de confinement. Pour elle, Valerie June chante ici Wanna Be On Your Mind – je le précise parce qu’un jour, alors qu’elle lisait ce blog sur son téléphone, mon amour a trouvé une vidéo d’un artiste que je n’aime pas, en lieu et place de celle que j’avais postée (elle me l’a montré, c’est vraiment très étonnant – si Polty se met aux nouvelles technologies, ma vie va devenir très compliquée).
In the darkest hours Of the brightest days I wanna be beside you Each step of the way
Wanna be on your mind Stay there all the time You can call my name
Pour une fois, je sors en fin d’après-midi.
Regarde l’âne, bébé, il court ! dit une mère à une poussette. J’en rajoute un peu, fais faire une deuxième longueur d’enclos à Danny. Eh ouais… Puis je lui lance une carotte de calibre idéal et un désinvolte Salut mon chou, à demain, et je reprends ma route en remettant mon casque sur mes oreilles.
If I could Baby, I’d give you my world Open up Everything’s waiting for you
De vieilles photos que j’ai prises
en 2016 et 2017 dans la métropole lilloise et qui se trouvent illustrer plutôt bien le reste de ma promenade.
Je ne l’ai jamais mentionné pour ne briser aucun cœur mais le Mini Marquette que je présentais ici n’est plus. Ce soir, devant les maisons mitoyennes toujours en travaux, des balançoires, un trampoline (sur rue, donc) et une vingtaine de personnes, canette à la main, devisant joyeusement ou, pour les plus jeunes et les plus canines d’entre elles, se poursuivant en courant joyeusement. N’étaient les parpaings, tout cela me rappelerait le camping.
Un peu plus loin, dans l’une des rues dont je proposais l’autre jour, bien malgré moi, une vision rétro californienne, deux amis boivent une bière sur les marches d’un hangar. Deux hommes qui passent par là s’arrêtent, le temps de faire avec eux des checks compliqués, non pas avec les coudes, bro, mais avec les mains (sans gants). En apnée sur le trottoir d’en face, je reste cachée derrière mes lunettes de soleil.
Le détritus du jour
est la rubrique Le détritus du jour. Assez de détritus. Si certains trottoirs de Lens ne sont pas bientôt nettoyés, c’est la peste qui va faire son retour… Bientôt, je dédierai une page (et non un simple billet) à la flore plastique du terril maudit.
Je n’ai pas grand chose à raconter de ce confinement solitaire puisque je ne fais guère qu’y écrire : je ne vais tout de même pas mettre mon texte en ligne – j’ai atteint cet après-midi la page 55 (je l’ai commencé il y a deux ou trois semaines – je perds le fil). Je vais juste copier-coller ici un extrait du mail que j’ai envoyé à ma mère tout à l’heure : « J’ai fait beaucoup de modifications, fractionné des chapitres que j’ai redistribués aux endroits où ils me semblaient plus pertinents (ma dernière page se retrouve dans le premier quart et le noeud du texte en page 40 – sans doute trop loin). Bref, ce montage n’est peut-être pas définitif. » Tels seraient été les événements majeurs de ma journée si je n’allais courir. Je vais courir, en fin d’après-midi, moi qui d’ordinaire ne tiens pas si longtemps sans sortir.
Outre que je peux ainsi éprouver
Le vide du jour
et croiser
Le gant [incluant le détritus] du jour
aka le gant-poubelle – astucieux : compacte ton paquet de John Player Special vide dans ton gant usagé !
Je retourne sur le terril du psychopathe. Je traverse tout le plateau d’ouest en est, si tenaillée par la peur que je respire par les oreilles. Je fouille la végétation du côté de la tache blanche, en vain. J’entends des aboiements, qui pourraient venir de n’importe où, le vent étant délicieusement fou aujourd’hui, et je décampe. Je descends par le segment le plus proche, qui est aussi le plus rassurant, et là, que vois-je ?
Non, ça c’est à l’ouest du terril. Le petit scooter qui gisait sur le flanc depuis des jours est de nouveau sur ses roues mais ce n’est pas ce dont je veux parler. Revenons à l’est. Je suis en train de m’enfuir par l’est. Et je me trouve face à un lièvre – le premier que j’aie jamais vu là-bas, grand, majestueux, les oreilles élégamment bicolores à l’intérieur. Qui ne s’enfuit pas quand je l’approche. J’arrête de courir (vérifie par-dessus mon épaule que le psycho n’est pas à mes trousses) et approche lentement. Il regarde le parking du carrossier, à gauche, comme s’il se demandait quelle caisse il allait braquer. Puis il se tourne de l’autre côté. C’est un très beau lièvre dur de la feuille, qui me regarde, interloqué, quand j’arrive à une vingtaine de mètres de lui. Il plonge alors dans les fourrés, dépliant ses longues pattes de dandy.
Cette vision suffirait à me rendre euphorique mais un moment de gloire tout aussi inopiné m’attend devant chez Danny. Quand j’arrive, une dame et sa fillette le regardent. Ça me met de mauvaise humeur : elles se croient où ? au zoo ? Il leur tourne le dos et broute avec indifférence. Je me poste une dizaine de mètres plus loin et lance avec désinvolture, Salut mon beau, ça roule ? Alors il se tourne vers moi et me rejoint d’un petit trot joyeux. C’est mon Danny chéri – si beau, si malicieux, si charismatique.
Aujourd’hui, mon Antique me dit avec un soupçon de désespoir que je suis devenue très sauvage. C’était déjà le cas depuis longtemps, le confinement ne fait que planter le dernier clou au cercueil de ma vie sociale.
Bientôt, j’imiterai cet habitant de La Madeleine en remplaçant « mon chien » par « mon chat, mon âne, mon oie (I miss you Carrie <3 <3 <3), mes lapins, mes lièvres, mes canards, mes poules d’eau, mes foulques, mes cygnes, mes… » Ce serait trop long et j’aurais peur d’oublier quelqu’un. Et puis il y a quand même quelques êtres humains que je serrerais bien dans mes bras, là, tout de suite, même si Dame Sam y est aussi très bien.
La musique du jour
Il y a quatre jours paraissait le magnifique Illusory, nouvel album de Jarboe (Jarboe La Salle Devereaux, ancien membre des Swans). Pour aborder l’œuvre très riche de la légendaire vocaliste, on peut écouter ceux de ses titres qu’elle a sélectionnés et commentés pour le site du magazine anglais Wire. C’est ici.
(Photo d’Irina Rozovskye.)
Un extrait de son dernier album que j’aime particulièrement : Arrival (j’ai, une fois de plus, eu beaucoup de mal à choisir un titre – tout est si beau, surprenant, chargé d’atmosphère…)
De vieilles photos que j’ai prises
entre 2017 et 2018, à Loos, Lesquin et Lille Sud. Oui, j’ai oublié cette rubrique hier, je suis un peu distraite, ces temps-ci. Pour me faire pardonner, une sélection d’anciens Où est caddie ?
Dans le jardin, la symphonie des oiseaux, le sac et le ressac du vent dans les feuillages ; aucun son d’origine humaine n’y parvient ce matin. À travers la végétation de plus en plus dense, j’aperçois le couple orbital et souris, puis je me tourne de nouveau vers mon écran.
Mon nouveau texte a triplé de volume en quelques jours ; je vis dedans, depuis que je suis confinée avec la seule – l’exquise – Dame Sam – qui lit constamment, non pas par-dessus mon épaule mais par-dessus le rebord du bureau. Cette nuit, j’ai rallumé la lumière pour prendre des notes dans le carnet qui ne quitte pas ma table de chevet. Dame Sam était de mauvaise humeur. Et, dès le réveil, je m’y suis replongée. Dame Sam avait hâte d’en découdre avec notre sujet du moment. Puisse ce texte continuer de nous porter jusqu’au 11 mai, où nous parcourrons 173 km sur Mon Bolide – Dame Sam dans un panier que je fixerai au guidon – en entonnant des chansons cajuns.
Deux vides aujourd’hui
celui de la cité 13 à Sallaumines
et celui de la cité 12/14 à Lens. 3,67 km séparent, à vol d’oiseau, les deux points d’où j’ai pris ces photos. L’organisation spatiale des mines est très particulière, difficile à comprendre et bien plus encore à mémoriser. Je m’y entraîne. Je lis des PDF et des PDF de documentation, des centaines de pages, pour ne pas écrire de bêtises dans mon texte en cours. Ce n’est pas gagné…
Trois vues de la cité du 12/14 datant d’il y a un an, trouvées en street view sur Google Maps, dont une depuis le point où a été prise la photo ci-dessus. Je les ai découvertes, sans doute in extremis, avant que le site ne mette à jour ses vues immersives.
Le gant du jour
quant à lui, nous vient de la métropole lilloise et nous est proposé par mon Antique. On reconnaît bien mon ancien territoire à cette douille de protoxyde d’azote – on en trouve très peu dans le bassin minier.
Ici, nous aimons les plaisirs simples, tels qu’illustrés par
Le (tas de) détritus du jour
qui gît à Sallaumines. Je l’appelle le tombeau des canettes.
Cet après-midi, je cours avec Danny, le récompense pour son effort de la plus petite carotte que j’aie trouvée au supermarché (et que j’ai choisie spécialement pour lui), et cette fois il la mange comme un Tic-Tac. Je lui promets que je finirai par trouver son format idéal. Avant de filer, je lui dis que je vais faire un tour sur le terril maudit et que je reviens ensuite. J’aimerais bien que tu viennes avec moi, je lui dis, pour ruer sur le psychopathe s’il s’en prend à moi. Cette idée le fait rire et il se met à tourner sur lui-même, à lancer la tête en arrière, il est à deux doigts de braire. Je suis un peu vexée.
Dès lors que je monte sur le terril maudit, je suis desséchée par la peur. Je respire avec difficulté. Je mise sur mon hyperacousie pour me signaler l’éventuelle approche d’un monstre et escalade les monticules derrière le cimetière. Pas de masse blanche en vue et impossible d’avancer de ce côté puisque je suis confrontée à ceci
soit un amas confus parfaitement impraticable. Je n’aurai d’autre choix que de passer par le campement pour trouver le mystérieux objet, mais ce sera pour une autre fois. Pour l’instant, je détale sur mes jambes flageolantes. J’explore les abords du site à l’ouest et, au passage, découvre cet arbre. La photo est pour mon amie O., même si cet arbre doit lui sembler un petit joueur…
Quand je repasse devant l’enclos de Danny, j’y découvre son geôlier ; c’est un monsieur à grosse moustache, l’air bourru, et il caresse brièvement le front de mon ami. Danny a l’air content, c’est sans doute le syndrome de Stockholm.
La musique du jour
Pour danser sur votre balcon avec votre âne, votre chat ou votre lapin, je trouve ça pas mal du tout.
Ce midi, je retourne enquêter autour du terril maudit (celui du psychopathe, évidemment). Je passe devant ses trois points d’accès principaux – plutôt que de l’escalader comme je l’ai fait lors de ma première visite, innocente que j’étais – et tente d’en trouver d’autres. Parvenue à l’entrée la plus visible depuis la rue, je craque et m’y engage. Je passe devant la roselière sauvage et me dirige vers le plateau central avec l’intention de le traverser puis de couper jusqu’au cimetière pour essayer de trouver la masse blanche vue en image satellite. La masse blanche sur laquelle je tombe quand je débouche sur le plateau est celle d’un chien sans collier ni laisse. Aucun être humain en vue. Le chien me regarde, il est à une centaine de mètres. Je fais demi-tour. Ai-je mentionné la présence, près de la cabane du psychopathe, d’une niche rudimentaire avec un gros cendrier en guise de gamelle ?
Le vide exact du jour
a des petits airs rétro parce que j’ai malencontreusement activé un filtre sur mon téléphone avant de prendre ces photos.
Ces couleurs m’évoquent la Californie des années 5O, pourtant il s’agit de la route qui mène du terril maudit au quartier de la jeune athlète et de Danny.
Quant à ce cher âne, il fait son petit exercice du jour et court à peu près 70 mètres (c’est mieux que rien) ; je le récompense en lui donnant un morceau de carotte tellement gros qu’il a l’air de mâcher un Malabar à l’échelle de sa mâchoire. Ça n’en finit pas. Je repasse le voir plus tard, après m’être fait un scénario catastrophe dans lequel il s’étouffait avec le Malabar – par ma faute. Il va très bien.
Les gants du jour
Quand, pour la première fois, je croise un couple de gants, je me pose enfin la question : pourquoi les gens jettent-ils un seul gant ? Quelles drôles de mœurs ont-ils pour n’en jeter qu’un (ou un à la fois) ? Les gants ci-dessous, bien qu’ils soient dégoûtants et ne jaunissent ni ne se grisent mais deviennent marronnasses, me semblent, sous cet aspect, plutôt sains.
Le détritus du jour
Il n’est pas là quand je me dirige vers le spot de lapins ; il y est à mon retour. Dans l’intervalle (que j’estimerais d’une grosse vingtaine de minutes), quelqu’un a subitement eu très chaud et pas de sac où ranger cette épaisseur superflue, mais pas non plus d’épaules ni de hanches autour desquelles la nouer. Je me demande à quoi peut ressembler un tel phénomène.
La musique du jour
Je n’avais pas écouté Cassandra Wilson depuis quelque chose comme 17 ans, je ne sais pas pourquoi ; ni pourquoi j’ai eu envie de retrouver aujourd’hui cet album aux saveurs du Sud des États-Unis, mais c’était une expérience apaisante, aussi reposante que celle de Fleetwood Mac était éprouvante.
Des photos que j’ai prises
entre 2017 et 2018, avant que le lâcher de gant(s) ne soit à la mode. Le deuxième m’a toujours fait rire ; il a même un titre : Help.
Ce soir, je ferme mon fichier Word à 22h43. Je viens de terminer une description qui m’a fait peur, ensuite de quoi il faut descendre au rez-de-jardin pour baisser le volet roulant ; derrière le simple vitrage, le jardin est plongé dans l’obscurité, tout juste puis-je distinguer la crinière de Carol-Anne sur un fond d’un pourpre très sombre. Je vérifie que toutes les portes sont verrouillées.
J’ai aussi beaucoup écouté Abbey Lincoln aujourd’hui, et notamment
At night when everything is quiet The old house seems to breathe a sigh (…)
Sometimes I can hear a staircase creaking Sometimes a distant telephone Oh, and when the night settles down again This old house and I are all alone
Maintenant il va falloir trouver le sommeil, sans mon amour. Je vais m’accrocher à Dame Sam.
Première insomnie sérieuse depuis le début du confinement : une heure de sommeil, par bribes. Un sommeil comme un bibelot cassé – disons un oiseau en faïence.
De vieilles photosque j’ai prises
en 2017 (les trois ci-dessous)
Je n’aime pas le livre que j’ai fini de lire cette nuit, je ne le garderai pas, bien qu’il parle de Los Angeles et qu’à ce motif, je conserve quelques livres très moyens. Los Angeles est l’une de mes lubies de lecture, au même titre que le 11-Septembre et l’ouragan Katrina – et depuis bien plus longtemps. Le roman que je viens de finir péniblement a presque réussi à me dégoûter de la mégalopole monstrueuse et à me décourager de l’explorer un jour comme j’en rêve depuis vingt-cinq ans – j’y passerais un mois en immersion, à supposer que, de mon vivant, le voyage redevienne une possibilité, ensuite de quoi j’aurais vu tout ce que j’avais envie de voir sur cette planète avec assez d’urgence pour ternir l’exemplarité de mon empreinte carbone.
Tchernobyl aurait pu être une de mes lubies ; je me suis souvent demandé pourquoi ce n’était pas le cas. Hier soir, mes amies m’ont appris qu’un incendie y sévissait depuis deux semaines, avec les conséquences que l’on peut imaginer. (Je suis redevenue incapable de lire des informations et dois compter sur mon entourage pour me relayer les plus importantes.) Je ne peux m’empêcher de voir toutes ces saloperies qu’endure l’espèce humaine comme une poignée de poivre qu’elle a jetée contre le vent et qui lui revient dans les yeux – cette métaphore me vient en écho à une discussion que j’ai eue hier après-midi avec ma mère, au téléphone, alors que nous parlions de tout autre chose.
Dame Sam ne quitte plus mes genoux (ou mon ventre, la nuit) depuis que mes anciens co-confinés sont rentrés chez eux. Elle est redevenue ma petite glu et pousse mes mains de la tête quand je suis trop longtemps concentrée sur mon travail sans la caresser. Aujourd’hui, nous attaquons notre texte en cours à 5h30. Une pluie fine et dense, à l’odeur réconfortante, commence à tomber vers 7h30. Vers 8h30, le couple mixte qui fait chaque matin treize fois le tour du lycée passe avec deux parapluies. L’homme et la femme sont toujours vêtus de couleurs sombres et j’ai fini par les considérer comme des concepts. Des silhouettes. Ce matin, leur constance et leur bel unisson de jambes et de bras m’émeuvent et j’en envie l’accord parfait, presque chorégraphique. C’est une pluie douce et silencieuse qui exhausse les parfums organiques et ils tournent en-dessous d’un pas vif.
10h51. Je lève la tête de mon écran pour réfléchir, regarde par la fenêtre et vois un vanneau huppé se poser brièvement sur la cheminée de ma cuisine, les cheveux mouillés. Trois secondes plus tard, il est déjà parti. 12h25. Le gros chat blanc du quartier se lave tranquillement dans mon jardin et réverbère le soleil désormais intense. 14h. Je vais courir, après avoir écrit pendant près de huit heures.
Aujourd’hui, la ville est plus déserte que jamais. Je croise aussi peu de voitures que de piétons et, un instant, je m’inquiète d’avoir raté une info importante. Ce serait bien mon genre.
Le vide du jour avec détritus (du jour également)
La bande de pelouse à crottes qui sépare le parc de la jeune athlète (lui-même fermé) de l’autoroute (dont on aperçoit ici un échangeur désert) est condamné par des barrières municipales. Au cas où des petits rigolos y organiseraient une free party et rouleraient des pelles pleines de covid, sans doute.
Le gant du jour
est mauve. C’est le premier gant mauve de ma collection et je suis presque joyeuse en le voyant se mêler là aux débris végétaux, ravie comme à l’époque des autocollants Panini : Je ne l’ai pas encore, celui-là ! me dis-je en dégainant mon appareil.
Dans mon refuge, aujourd’hui, en plus de neuf lapins, j’ai vu mon premier canard depuis neuf jours (cette coïncidence me console de ce qu’il n’entre ici aucun nombre premier). J’ai tâché de l’approcher le plus doucement possible mais il a eu peur de moi et s’est envolé.
Alors que je faisais mes étirements, de retour chez moi, j’ai constaté qu’un des chats errants du quartier, avec qui je m’entends de mieux en mieux et qui est une véritable splendeur asymétrique à la Joe (feu mon autre chat bien-aimé), a une énorme pelade sur le flanc droit, alors j’ai pleuré. Des candidats à l’adoption ? Je sais ce que vous vous dites, mais Dame Sam ne souffre aucun partage.
La musique du jour
Comment ne pas me répéter, ne pas citer encore les effets proprement hallucinants de Fleetwood Mac sur ma mémoire et sur ma conscience (j’ai poursuivi mon introspection cet après-midi) ou mon héroïne Jenny Hval, dont les quatre derniers disques m’ont été, aujourd’hui comme bien souvent, un baume inestimable ? La voici avec une chanson subtilement désarticulée tirée de son avant-dernier opus, le EP The Long Sleep.
We will not be awake for long We’ll meet in the smallest great unknown
Le conseil lecture du jour est la rubrique sabordée aujourd’hui. Elle a cessé de m’amuser. Ne lisons pas, voilà tout : lire est une activité non essentielle, comme courir. Pour preuve, la plupart des gens se contentent de lire leurs téléphones, assis sur leur cul, et ils ne meurent pas. Ils soupirent juste en disant, C’est long. Ou ils invitent des gens et rient gras. J’ai hâte que ma voisine reprenne sa vie habituelle et ses esprits.
Je me réveille, Dame Sam s’étire sur mon ventre et je constate l’absence de mon amour à ma gauche et la présence de bouchons en mousse dans mes oreilles – je les ai mis vers 23h, après m’être disputée par SMS avec ma voisine, et après qu’elle a conséquemment claqué autant de portes qu’elle a pu.
(Ma chambre vide.)
Sur le site de Pitchfork, aujourd’hui, un hommage à Stevie Nicks. Je ne sais pas ce qui me pousse à écouter en ligne les deux derniers albums de Fleetwood Mac que je me sois procurés à leur sortie et dont à l’époque j’ai usé les cassettes (j’avais les GreatestHits en 33 tours – Hold Me, Tusk et Dreams étaient mes préférées, et aussi Sara, et The Chain mais il est sur Rumours), à savoir Tango in the Night en 1987 et Behind the Mask en 1990. Ce n’étaient vraiment pas leurs meilleurs LP mais leurs mélodies sucrées ont conservé des souvenirs extraordinairement précis de mon adolescence : Sky is the Limit dans les graminées, à l’écart du lac Majeur où mes cousins se faisaient des potes italiens qui leur apprenaient des gros mots – va fanculo, ah ah. Et moi, dans mon casque en mousse : Love, love, love / Love is dangerous. Mon autre groupe culte était (depuis plusieurs années déjà) The Smiths. L’année suivante je découvrais Sonic Youth.
Ce matin, je fais des recherches sur les cavaliers miniers en écoutant des albums de Fleetwood Mac. Depuis mon passage à la musique dématérialisée, je n’ai conservé que ceux-ci :
Fleetwood Mac, période américaine, nous offrira donc assurément
La musique du jour
Ce matin, j’ai du mal à me dire que la vie n’a pas repris son cours habituel comme c’est le cas dans la maison – qui n’est plus Socorro mais n’est pas pour autant redevenue mon Vaisseau Fantôme. Son nouveau nom lui viendra bien assez vite, sans que j’aie besoin d’y réfléchir. En attendant, j’essaie de me souvenir que la pandémie sévit encore, de même que les règles de confinement. Je dois me faire violence pour ne pas retourner voir les cavaliers d’Avion que j’ai découverts par hasard au mois de janvier, bien trop loin de chez moi selon la règle qui nous empêche d’occuper l’espace – règle absurde qui montre à qui ne l’aurait pas encore compris que la pseudo évolution de l’espèce a atteint un point de non-retour. L’impossibilité dans laquelle je suis de me déplacer m’est d’autant plus difficile à comprendre que j’écoute ces chansons pour la première fois depuis l’adolescence. C’est le même territoire, la même bande son, la même solitude, alors quoi ? Que s’est-il passé de si terrible, ces trente dernières années, se demande l’adolescente que je fus, pour que tu n’aies pas le droit de parcourir le bassin minier, le 17 avril 2020 ?
Le vide du jour
et
Le gant du jour
me rappellent assez rapidement aux réalités de ce printemps. Le gant ci-dessous a jauni en vieillissant – à sa teinte, je lui aurais donné plusieurs mois, voire plusieurs années. Mes souvenirs d’adolescence ont moins mal vieilli, comme en atteste Fleetwood Mac dans mon casque (j’ai décidé de poursuivre en mouvement l’expérience de rétrospection). Notons que certains gants se grisent tandis que d’autres jaunissent.
Ce matin, les lapins sont peu nombreux mais ça me fait du bien d’être « à la maison », comme mon amour appelle le spot : ça me donne l’illusion que si je cesse de guetter les lapereaux, la main en visière, je n’ai qu’à me pencher vers elle pour l’embrasser, respirer sa peau et plonger dans son regard noir intense (genre chocolat noir à 85%). Je salue aussi son poney rouillé.
(Où sont lapins ?)
Ce soir, après avoir écrit plusieurs pages sur les terrils, je rends visite à Danny (pas trace de sa poulette), il est super content de sa demi-carotte bio (on fait moitié-moitié, mon ami et moi) mais le fermier voisin vend ses produits et des gens commencent à faire la queue sur la route, alors je m’éloigne en apnée. (Je n’ai pas encore dit, je crois, combien j’étais devenue forte en apnée. Dès lors que je suis obligée de croiser quelqu’un sur un trottoir, je tourne la tête à 90° dans le sens opposé, tout en retenant mon souffle, de vingt mètres avant à vingt mètres après.) Je rentre avant l’orage.
Le conseil lecture du jour
Je vous donnerais bien, pour une fois, un bon vieux conseil lecture des familles, avec un nom d’auteur, un titre, un éditeur et un prix à virgule. Je pensais à ce livre en courant ce matin, parce qu’il serait à la fois un conseil de lecture et un conseil d’écriture : quand je l’ai lu, je me suis dit que chacun devrait en écrire sa version. Son auteur vit dans le même département que moi, nous nous entendons bien ; sa fille a fait partie d’un groupe qui mélangeait punk et krautrock avec beaucoup de talent ; un jour, alors que nous allions faire une lecture à l’Hybride (Lille), il m’a offert celui de ses livres que je vous aurais bien conseillé aujourd’hui, et qui à l’époque venait de paraître en poche. Ce faisant, il m’a dit « Je pense que ça pourrait te plaire » et c’est effectivement mon préféré de lui. Trouvez l’auteur et le titre du roman dont il est question et gagnez ma considération pour vos dons de détective.
Nouvelle rubrique :
Des vieilles photos que j’ai prises
(C’était un soir aux Périseaux, il y a un an et demi.)
Ne lisez pas ce billet, ce n’est qu’un épanchement lacrymal narcissique et non informé sur le coronavirus. Il représente cependant une étape importante dans un Journal de Confinement, aussi modeste soit-il, dans la mesure où à JC+30, ce confinement devient solitaire. Par ailleurs, c’est un billet très pauvre en lapins. Ceux-ci ne sont pas du jour et nous tournent le dos.
Pourtant, je suis réveillée par un fou rire, ce matin. J’ai rêvé que je voyais quelqu’un porter des chaussettes à col polo. Je me disais que c’était normal, au fond, puisqu’on parle de cou-de-pied, pourquoi les chaussettes n’auraient-elles pas de col ? Puis je me demandais si les chaussettes plus traditionnelles étaient des chaussettes à col roulé. Je ris encore un long moment après mon réveil.
Je suis très fatiguée, je le suis la plupart du temps depuis le début du confinement, bien que je dorme plus que jamais. Je me blottis dans les bras de mon amour, où je somnole encore un moment. Je suis heureuse, là, dans ses bras. Je me sens à ma place. Je vais courir avant qu’il ne fasse trop chaud mais je ne suis pas en grande forme et je trouve éprouvants les dénivelés du bassin minier auxquels, ces derniers mois, j’ai pourtant fini par ajuster ma foulée, mon souffle et le travail de mes muscles, jusqu’à ne plus y penser. Je traverse
Le vide du jour
entre la Grande Résidence et la fosse 14
et je rentre par le parking du stade Bollaert, où je trouve
Le gant du jour
Quand j’arrive chez moi, il est 10h30 et une adolescente lit dans un sac de couchage sur mon canapé. Ce n’est rien, je le sais, mais je me sens très lasse. Brutalement, démesurément. C’est l’étincelle, le mini truc qui fait tout exploser. Je m’aperçois que depuis la crise de la semaine dernière, j’essaie de vivre avec ces deux adolescents comme s’ils étaient de très gros acouphènes, et que mes nerfs sont sur le point de lâcher. Mon amour m’apprend que les siens aussi. Alors je prends un calmant et je lis, Dam Sam étendue sur mon ventre, pendant que la mère et ses enfants remplissent leur voiture. Ça ne prend qu’une dizaine de minutes. Puis je dis au revoir à mon amour et c’est comme si on m’arrachait un organe à mains nues.
(Le pan de mur que fixait mon regard quand nous avons pris la décision du départ. J’y vois une œuvre belle et mélancolique, vraisemblablement d’arte povera, exprimant la finitude de toutes choses.)
Moi, j’arrache le lierre qui mangeait le mur du jardin. Peggy n’en veut plus, ni moi depuis qu’elle a évoqué un nid de rats qui autrefois vivait dedans alors je tire, je tire des lianes entières, je suis une meurtrière mais je ne ressens rien à cause du calmant – d’ailleurs il arrive qu’on cesse de sentir la douleur quand elle est trop forte. J’arrache du lierre et j’écoute mon Antique au téléphone. Elle doit entendre ma voix faire hum, puis des longs scrrrriiiiiiitch. Je parle mollement parce que je suis groggy mais je tire fort.
Tu n’es pas allée voir les lapins ? me demande mon amour au téléphone, quand elle est de retour à Paris, et je pleure parce que ce sont nos lapins. Et même le poney de mon amour ne parvient pas à me faire rire quand je regarde sa photo, je voudrais le prendre dans mes bras même s’il n’est au fond que
Le détritus du jour
La musique du jour
L’autre musique que je veux à mon enterrement : Knoxville, Summer of 1915, de Samuel Barber, sur un texte de James Agee. Pièce commandée et créée par Eleanor Steber, que l’on entend ici. Hier soir, alors que nous venions de rendre visite à nos lapins, mon amour a dit « C’est l’heure » et j’ai eu ce morceau dans la tête. Il m’était revenu plusieurs fois au cours des jours précédents – je l’écoute moins depuis quelques années, pour ne pas l’user car c’est l’un des plus beaux que j’aie jamais entendus. Je l’écoute maintenant, c’est l’heure et je suis assise à regarder les oiseaux, les chats et les bourdons affairés, Dame Sam ronronne sur mes genoux. J’aimerais écouter cette musique avec mon amour, quand elle reviendra, dans quelques jours.
It has become that time of evening when people sit on their porches, rocking gently and talking gently and watching the street and the standing up into their sphere of possession of the trees, of birds’ hung havens, hangars.
(…) By some chance, here they are, all on this Earth; and who shall ever tell the sorrow of being on this earth, lying, on quilts, on the grass, in a summer evening, among the sounds of the night. May God bless my people, my uncle, my aunt, my mother, my good father, oh, remember them kindly in their time of trouble; and in the hour of their taking away
Je clos définitivement la rubrique Mon relevé du jour. Ça fait beaucoup de clôtures, cette semaine, j’en ai bien conscience. Il y en aura d’autres, je préfère l’annoncer sans détour. J’en suis désolée d’avance.
L’enfer du jour
C’est le soir où, après avoir tant souffert de la solitude et du confinement, ma voisine a choisi d’inviter des amis et de péter les plombs. D’où : musique populaire, et on chante en chœur de toutes ses forces, et on danse en même temps, ou du moins sautille-t-on, à en croire les vibrations dans le sol. Il reste dix minutes avant le couvre-feu et quelque chose me dit qu’elle s’en fiche tout autant que de l’interdiction de côtoyer des amis. Que faire ? Elle a dit tant de fois qu’elle devenait folle : peut-être, si je lui envoyais un SMS pour lui demander de baisser le volume général, deviendrait-elle violente et se mettrait-elle à baver de la mousse, essaierait-elle de me crever les yeux, et il n’y aurait aucun témoin.