(Éditions de L’Olivier, mars 2019.)
Quatrième de couverture :
« Meredith Monk est assise face à une rangée de jeunes filles qui se livrent à des exercices vocaux. Elle se lève et vient à ma rencontre. Vous voici enfin, Fanny ! Elle parle un français à l’accent précieux, pose les mains sur mes épaules et embrasse mes joues, à la française. »
Quand Fanny Chiarello atterrit à New York le 5 octobre 2017, elle ignore dans quelle mesure Meredith Monk va se rendre disponible pour elle et lui permettre de mener à bien son projet : un portrait de cette artiste de la voix, compositrice, performer et cinéaste.
Elle assiste pendant un mois aux répétitions dans le studio comme aux spectacles au Lincoln Center, accompagne Meredith au quotidien, jusque dans la cuisine du loft où se retrouvent les membres de son ensemble. Rien ne lui échappe. Elle saisit le réel au vol et rend compte de ses attentes, de son admiration, de ses déceptions.
A happy woman est le récit intimiste de leur rencontre, celle d’une star de l’avant-garde américaine avec une romancière française, et se lit comme un reportage littéraire passionnant où la complicité n’exclut pas le regard critique. »
Meredith Monk, compositrice et chorégraphe américaine née en 1942, a participé à l’effervescence des années 60-70 à New York, du côté de l’avant-garde. Comme Philip Glass, Steve Reich ou La Monte Young, pour ne citer que les plus célèbres, mais un peu à part : son travail est inclassable. Quand j’ai découvert sa musique, elle correspondait totalement à mes aspirations du moment et j’ai voulu voir comment elle était faite. Voir, aussi, comment vit un être humain capable de créer une œuvre aussi puissante (car, contrairement à Meredith, je ne crois pas au génie, ce qui rend bien plus fascinant le quotidien de mes héro-ïne-s…) Il ne s’agit pas d’une biographie, ni d’un essai, mais d’un portrait subjectif (presque au sens pictural du terme) de Meredith Monk en 2017.
Vous pouvez écouter ici Three Heavens and Hells, dont il est beaucoup question dans mon récit.
La musique a toujours eu beaucoup de place dans mes textes et dans mon processus de création. La légende est une autre dimension à laquelle je me suis souvent intéressée. Cette fois, je voulais me confronter à une vraie légende, dans le monde réel : celle de Meredith Monk, bien sûr, mais aussi celle de New York, où je n’avais encore jamais mis les pieds et où j’ai atterri seule pour un mois – la rubrique Autumn in New York commentait d’ailleurs au jour le jour cette double aventure (triple, en vérité, mais le troisième aspect fera l’objet d’un autre livre, en cours de réécriture).
(Mon appartement à Brooklyn, 863 Greene Avenue (immeuble de droite), tel qu’il m’apparaissait avant que je ne m’y installe : en vue immersive sur le service de cartographie en ligne. J’allais apprendre à l’appeler chez moi ; à la fin du mois, je trouverais scandaleux de devoir le quitter.)
Cette approche correspond d’ailleurs à ma démarche du moment. Je ne veux pas rester assise à mon bureau. Je ne veux pas m’abriter derrière des références, des autorités. Je veux aller à la rencontre des lieux et des gens, être en mouvement, prendre en compte ce qui se présente à moi et improviser. Si l’objet de mon écriture se dérobe, contrarie mes désirs, mon travail consiste à m’adapter, à trouver d’autres voies, d’autres manières de procéder, d’autres angles d’approche. C’est une démarche empirique, expérimentale, qui m’engage totalement, y compris physiquement.
Double Fiesta, le morceau que je fais écouter à celles et ceux de mes ami-e-s qui ont peur de Meredith Monk.
Quand je suis arrivée à New York, je ne savais pas dans quelle mesure Meredith Monk se rendrait disponible pour moi, d’ailleurs elle non plus ne le savait pas. Tout dépendrait de paramètres humains. J’allais devoir m’adapter à ce que je découvrirais à mesure et si possible influer sur le déroulement de mon séjour. Face à Meredith Monk, j’étais une auteure dont aucun livre n’a été traduit en anglais, catapultée dans la cuisine d’une légende de la musique contemporaine, et toutes deux, la légende et moi, nous faisions la vaisselle en discutant musique et végétarisme. J’essayais d’englober dans un même regard la femme toute petite qui a mal au dos et ne digère pas le tofu, la compositrice dont la musique est une planète à part entière, et le personnage public qui pose avec Obama sur des photos et reçoit sous mes applaudissements un prix doté de 250 000 dollars pour l’ensemble de son œuvre.
Cette photo, prise à la remise du Gish Prize le 16 octobre 2016,apparaît dans le livre. Elle m’amuse toujours beaucoup.
Car Meredith Monk m’a généreusement accueillie, m’a laissée l’accompagner dans divers aspects de sa vie quotidienne et dans les grands événements. J’ai tissé avec elle et avec les membres de son Ensemble Vocal des liens affectifs. Il est aussi beaucoup question, dans mes pages, des artistes incroyables qui gravitent autour de Meredith depuis des décennies, parfois au sacrifice de leur propre travail.
(On me voit ici avec Allison Sniffin, Meredith Monk et Katie Geissinger.)
J’ai parlé de ce sacrifice avec Meredith, et de bien d’autres choses assez délicates telles que le deuil, la religion et l’âge. Nous n’étions pas toujours d’accord mais il y avait de la place pour deux points de vue puisque je n’étais pas dans une posture de journaliste ou de biographe. Je suis rentrée de mon séjour avec un journal de 180 pages dont j’ai ensuite retravaillé la matière et, chaque jour, quand j’ouvrais mon fichier, j’y étais de nouveau.
Comment finir autrement que sur Ascent ?
Le titre de cette enquête littéraire est celui d’une pièce que Meredith Monk et son Ensemble ont travaillée pendant mon séjour.