Samedi après-midi. Je teste une nouvelle formule d’atelier d’écriture avec une douzaine de personnes. Objectif : explorer la densité de l’instant. La première consigne est de marcher sans se parler pour être le plus disponible possible à ce que nous allons observer, éprouver, relever pendant les trois quarts d’heure de notre marche. Nous traversons d’abord un lotissement d’Agneaux avant de marcher au bord de la falaise qui surplombe la Vire au sud de la ville, treize individus silencieux – car mes participant.e.s sont très respectueux.ses de cette directive, à ce point : 1. voyant un couple avec bâtons de marche nordique effrayé par notre cortège silencieux, j’irai le rassurer : C’est un exercice, tout le monde va bien. Oh, dira la dame, soulagée, on va rester à distance alors, et je lui répondrai, N’ayez crainte, nous ne sommes pas contagieux ; 2. de retour à la médiathèque, j’apprendrai, en écoutant une lecture, que j’aurais pu apercevoir un chevreuil en contrebas de la falaise. Quoi ? m’écrierai-je, Un chevreuil ? Vous ne pouviez pas le dire ? et la dame me répondra, Ben non… Ce qui nous fera tou.te.s beaucoup rire. (J’aurais du mal à obtenir un tel silence de mon groupe d’hurluberlus liévinois, qui a le verbe exubérant, chante et rit aux éclats – il est même arrivé que je voie Paulette donner des coups de parapluie à un cycliste en lui criant de rouler plus vite, au bord du lagunage d’Harnes.)
C’est parti.
Traverser un lotissement puis une falaise s’avérera très porteur et les contrastes entre ces deux expériences successives alimentera beaucoup les textes.
Cet avion avec sa ligne de kérosène verticale marquera bien d’autres esprits que le mien. Je précise que, si je prends des photos, le groupe est équipé de mini carnets préparés par Romane, jeune recrue de la médiathèque, et moi-même, et que tou.te.s y prennent des notes au fil de la promenade.
Presque bien caché, l’un des seuls êtres vivants que nous croisons dans le lotissement.
Puis nous empruntons une ligne de désir entre deux pavillons pour gagner la falaise.
Mardi, en faisant des repérages, je me suis surtout attardée sur la nature en contrebas
mais cette fois, j’observe tout autant l’amont, les clôtures des jardins à notre droite et tout ce qui nous surplombe.
Contraste : à notre droite :
à notre gauche :
Puis nous regagnons tranquillement la ville.
Pendant que le groupe écrit des textes formidables, je pense à ce que nous venons de vivre. Ce qui m’a le plus frappée, c’est combien le silence nous liait tandis que nous marchions ; je n’avais pas anticipé ça, je ne l’aurais pas supposé, d’ailleurs je ne pensais pas que tout le monde jouerait le jeu. L’énergie qui circulait entre nous est en fait devenu un élément à part entière de l’expérience que nous avons eue des lieux, a imprégné les sensations qui nous y ont traversé.e.s, participé des scènes que nous y avons observées. C’était un moment précieux.
Quand les participant.e.s lisent leurs textes, nous pouvons constater que treize personnes traversant le même instant n’y vivent pas la même chose, n’y relèvent pas les mêmes éléments ou ne les perçoivent pas de la même manière – outre que nos univers très variés nous amènent aussi à des formes d’écriture très diverses. Je participe, moi aussi ; je ne le signale pas ni ne lis mes textes à l’oral pour ne pas prendre du temps au groupe ; je ne fais jamais ça, d’habitude mais il me semble naturel de partager jusqu’au bout cette micro aventure – treize personnes dissemblables au possible, réunies par une consigne un peu farfelue, un samedi après-midi de grand soleil, quand les voitures roulent capot contre capot entre Saint-Lô et le centre commercial.
Un extrait de mes propres notes, pour la première consigne d’écriture :
les éclats de voix, tranchants
le cri du ballon, contondant
ils se cognent au vent
sur le stade désert
le gazon darde son vert
pour lui-même
un vert que les grilles blanches
exhaussent
au sommet de la falaise
piquetée de ficaires
des arbres tordus des brise-vue
en plastique vert et quelque part
invisible
un pivert