En prévision de ma résidence à la Factorie (Maison de Poésie de Normandie) en janvier prochain, je dois constituer une espèce de mini anthologie de ma propre poésie. Une dizaine de pages – j’ai opté pour l’interligne 1,5 plutôt que double sinon c’était vraiment trop frustrant. Ce matin, j’ai donc relu / re-survolé, avant le lever du jour, mes quatre recueils parus aux Carnets du Dessert de Lune et (c’est une agréable surprise), à une exception près, je les aime encore. Globalement, du moins – j’effacerais bien certaines pages, quand même. Je copie-colle ici un texte tiré de Je respire discrètement par le nez, dont le premier paragraphe m’a fait un drôle d’effet. Je l’ai écrit en 2006 ; je me projette dans un avenir que je pense conjurer en affrontant sa possibilité, or le moment que je craignais alors a fini par arriver, forcément – comme la mort même finira par arriver, qu’on l’ait attendue toute sa vie avec un fusil ou qu’on n’ait jamais pensé à elle. Voici ce petit texte :
« Oh dormez, dormez mes amis, je veille sur vous. Un jour peut-être je serai si loin ou alors ce sera vous, mais il y aura toujours ce pointillé magnétique entre nous, je pourrai presque voir votre sourire danser avec le mien sur le miroir du salon. Et vous dont je n’aurai jamais vraiment connu le cœur, vous danserez aussi quelque part sur la croûte terrestre et les vibrations de vos pas parviendront jusqu’à moi et je les saluerai des orteils à travers le vacarme tellurique ; je serai assise au bord d’un étang, je regarderai passer les poules d’eau et la mince semelle de mes chaussures ondulera discrètement tandis que des orteils, je vous saluerai.
Pour l’instant je suis debout sur les pédales de mon vélo pour rouler contre le vent et mes cheveux semblent fous de joie ; certains se détachent de moi et vont poursuivre ailleurs leur aventure dans la matière.
Quand j’écoute de la musique je pédale très vite et parfois je vis les crescendos avec les pieds. Ce corps m’aura bien servi. Je pense soudain à lui avec affection. Si j’arrête de le malmener, peut-être nous amuserons-nous ainsi encore longtemps.
Ma concierge dit que d’ici peu, il y aura six nouveaux enfants dans la résidence, elle dit, J’ai peur pour mon sapin de Noël. Je me rappelle le rire de mes amis cet hiver quand les chants électroniques des pères Noël en peluche les accueillaient dans le hall, je souris avec eux, je souris à la concierge. C’est du travail, ce sapin, dit-elle, et j’acquiesce.
Je monte l’escalier, je lis Top Annonces en chaussettes, je lis des annonces qui ressemblent à ces cheveux que j’ai vus dans la rue ce soir, des cheveux à la couleur étrange, et ensuite il y avait cette voix tout aussi indéterminée que la couleur des cheveux, qui dansait au sommet d’une larme, cette voix était tout ce qu’il m’était donné à percevoir d’une vie tandis que je roulais contre le vent.
Mes chats sont assis devant la baie vitrée grande ouverte et contemplent l’orage, immobiles, les yeux arrondis, je me demande bien à quoi ils pensent. Si je m’assieds auprès d’eux, est-ce que je verrai ce qu’ils voient ? »
Photo prise à la même époque