Je suis terriblement émue de cette critique de ma geste par Georges Guillain sur le site Les Découvreurs. Je le remercie vivement.
« UN ART POÉTIQUE EN FORME DE VÉLO DÉGLINGUÉ ? SUR LE DERNIER LIVRE DE FANNY CHIARELLO AUX ÉDITIONS DE L’ATTENTE.
Comme une sorte d’épopée travestie, hésitant entre genres sérieux, burlesque et héroï-comique, cette Geste permanente de Gentil-cœur par laquelle Fanny Chiarello nous conte en lignes – difficile ici de parler de vers – de onze pieds de long, son désir un peu fou de recroiser le chemin d’une joggeuse de 17 ans aperçue dans un parc un rien chagrin de l’ancienne commune minière de Sallaumines, entre rocade d’autoroute et lotissement populaire.
Afin de retrouver la belle dont le souvenir l’obsède, l’autrice/narratrice décide à la suite d’un large et réjouissant examen de la situation, exposé en prologue, de tenir une Permanence de onze jours en ce lieu, pour quoi, résidant à quelque trente-cinq kilomètres, il lui faut courageusement enfourcher sa rossinante monture dénommée Mon Bolide, un vieux vélo aux roues voilées, aux freins insignifiants, dépourvu de vitesses, de suspension, aux pneus de plus quasi impossibles à regonfler ! Cela produit des récits d’équipées non dépourvus d’une réelle singularité auxquels Fanny Chiarello prête parfois humoristiquement une dimension épique comme dans ce passage où l’exploit pour elle consiste à arriver quand même à bon port malgré l’orage :
mon pneu arrière crève avec éclat il
saute entre deux coups de tonnerre sur le
chemin de halage accablé de déluge
la pluie drue infuse une nuit diurne elle
noie les bois secoue la boue casse dans les
champs le maïs accable le canal et
ma capuche mais je pousse Mon Biclou
à pneu plat sans mollir vers ma permanente
mission la pluie rebondit sur le chemin
et me décoche des graviers qui se fichent
dans mes mollets nus et me mutilent les
tibias quand le fracas seul habite l’air
ça bruit rugit frémit tonne gronde claque
et crépite en une furie percussive
à l’acoustique cinématographique
Mais là n’est pas bien entendu l’objectif premier de ce texte qui multipliant les observations sur la marche nordique, les lapins, le mini-golf, les relations entre pie et chat, la pratique du surf chez les poules d’eau, du vélo sur une roue chez les adolescents, du non ramassage des crottes par les dames qui promènent leur chien… s’abandonne clairement, en dépit des règles en apparence strictes qu’il s’impose au départ, au hasard des rencontres et des évènements, pour dessiner peu à peu comme le tableau d’un territoire rien moins que favorisé socialement, esthétiquement, architecturalement mais dans lequel la vie qu’elle soit végétale, animale ou humaine, se donne toujours à voir dans la diversité de ses formes et de ses capacités d’adaptation. On songe un peu parfois à la célèbre Tentative d’épuisement d’un lieu parisien du grand Georges Perec, n’était que la subjectivité de l’autrice/narratrice y apparaît de façon beaucoup plus évidente. Dans sa marginalité, son refus par exemple de certaines habitudes de consommation, sa façon très personnelle aussi d’entretenir un rapport presque intime avec ce qui reste autour d’elle de nature… jusqu’à se sentir au bord de l’orgasme rien qu’à respirer un parfum d’herbes et d’orties tout fraîchement fauchées. Sans compter bien sûr, qui explique le titre en partie mystérieux de l’ouvrage, sa relation à la musique cajun, celle de la Nouvelle Orléans, qui vient colorer de son pittoresque propre et de son éloignement linguistique et géographique la représentation que l’auteur invente au double sens du terme, au fur et à mesure de l’avancée de son ouvrage.
Et l’on songe aussi à la réflexion que nous livre Yves Citton dans son tout dernier ouvrage, Contre courants politiques (p.13), sur la façon dont pour les hommes d’aujourd’hui et a fortiori les écrivains, il est de plus en plus difficile pour évoquer le monde dans lequel nous vivons de se positionner entre un « je » qui fait problème du fait de la complaisance autobiographique dont nous sommes saturés et ce « nous » rendu impossible par l’arrogance de moins en moins supporté des savoirs surplombants. C’est là peut-être que le petit vélo de Fanny Chiarello qui trace sa route, sans écraser, entre tous les réseaux subtils de signification par lesquels il nous fait passer, peut prendre figure aussi d’un art poétique en phase avec les questions d’aujourd’hui. »