J’écris une suite du sanglier (suite au sens musical et cynégétique – où je suis le gibier) ; je reste à ce jour intarissable sur le sujet. Ce matin, il fait –2°C dans la brume et je fais le tour du lac, je cours en short comme dans un poème de Pas de côté, au début ça me fait rire parce que je me remémore une lecture que Catherine a faite hier soir d’un autre texte du recueil (Jean a filmé la performance, je la mettrai en ligne quand il me l’aura envoyée), une de ces lectures dont elle a le secret : elle ne connaît ni le texte qu’elle attaque ni la musique qui passe mais lit avec virtuosité sur la mélodie, c’est à la fois bluffant et à mourir de rire. Je ris, donc, en chemin pour me rendre au lac, et cependant j’écoute le genre de musique sur laquelle nous avons dansé hier soir tous les six et me demande quelle probabilité j’avais de rencontrer cinq poètes disposés (pas qu’un peu) à danser tous les soirs et à y mettre autant de sens que moi. (Je disais ici, il y a un mois, combien j’avais besoin de ça.)
Arrivée au lac, j’ôte mon casque audio pour écouter la musique des oiseaux d’eau. Il n’y a personne nulle part, pendant 10 km pas un humain mais je me rends vite compte que je ne savoure pas la circonstance. Tout ce que j’aime habituellement m’est inaccessible : ne pas voir à cinquante mètres, me savoir seule, entendre les bruissements de vies invisibles dans la végétation dense qui m’entoure. Un lapin traverse le sentier un peu plus loin, une aigrette s’envole depuis les roseaux, une poule d’eau ricoche à la surface floue du lac et je ne m’en émerveille pas, trop tendue par la conscience vive de me trouver dans une cuvette : chaque bruit semble annoncer le surgissement d’un ongulé furieux, perdu dans la brume en contrebas des collines boisées qui encerclent le site. Dans les replis les plus touffus et isolés de la berge, où s’étale une espèce de toundra peu arborée, la peur me donne la nausée, je mesure la misère d’être traumatisée. C’est une dépossession.
Hier, j’ai fait un lapsus en parlant avec mes camarades : au lieu de dire mon sanglier, j’ai dit mon ours.