Avant ce matin, mon souvenir le plus traumatisant était celui du jour où la marée haute m’a surprise au pied d’une falaise, à Wimereux, et m’a projetée contre les rochers ; je suis rentrée en sang mais surtout sous le choc. Aujourd’hui, je courais dans la forêt de Bord Louvier, j’avais eu la bonne idée d’attendre 8h pour partir parce que j’ai peur de l’obscurité des bois et forêts depuis que, l’été dernier, des chevreuils mâles très en colère m’ont chassée du bois de Givenchy en bondissant et aboyant autour de moi, juste avant l’aube.
J’ai couru une heure et je reconnaissais que c’était une belle forêt, très vallonnée, mais j’étais déçue de ne pas avoir vu de chevreuil. Je me suis formulé très clairement que ça manquait d’animaux par ici. J’étais encore peu renseignée, je prenais les souilles pour des grosses flaques.
J’ai cherché sur mon GPS le moyen de regagner la sortie.
J’ai voulu voir ce qu’il y avait au bout du petit sentier qui part à gauche sur la photo ci-dessous, dont la seule vue me donne désormais des frissons et une vague nausée. Je pensais que c’était un moyen de couper pour rejoindre une route goudronnée qui me ramènerait à Léry, du moins le chemin partait dans la bonne direction.
J’étais plus haut, à un endroit dont je n’ai pas et n’aurai jamais de photo, quand un tumulte de végétation piétinée a résonné dans le silence quelque peu inquiétant qui m’avait beaucoup frappée pendant cette heure de solitude absolue. Je dois sans doute d’être en vie à la présence incompréhensible d’un grillage le long de ce chemin : un sanglier noir, énorme (un sanglier) me chargeait. Je pleure et j’ai les mains moites en l’écrivant, alors même que je suis bien en vie dans ma chambre douillette de la Factorie, tant l’effroi est encore vif. Nous étions deux, le sanglier et moi, face à face dans une forêt où je mettais les pieds pour la première fois et dans laquelle il était chez lui, séparés par un mince grillage providentiel contre lequel il s’acharnait en faisant un vacarme inouï. Je ne pouvais pas lui dire qu’il n’avait rien à craindre de moi, que j’étais son amie et qu’il était très beau quand il était en colère ; soudain, ma manie de parler aux autres animaux m’est apparue dans toute sa vanité.
J’ai fait demi-tour et cessé de courir ; je marchais lentement, tête basse, me fiant aux seuls sons pour savoir si je devais me remettre à courir et cherchant des yeux un arbre auquel je me sentirais capable de grimper. J’ai tourné à droite, je savais que l’orée n’était qu’à quelques centaines de mètres, droit devant, mais le vacarme me suivait. Le sanglier a traversé le chemin devant moi ; j’ai continué d’avancer vers la sortie mais il ne s’enfonçait pas dans la forêt, il fourrageait furieusement dans un fourré à ma gauche. J’ai fait demi-tour et attendu d’être assez éloignée pour me remettre à courir, avec désormais la terreur de croiser d’autres sangliers tout aussi hostiles. Soudain je ne percevais plus la forêt comme un lieu de respiration, j’étais traquée. Comme le sanglier en cette saison de chasse, ni plus ni moins.
J’ai couru pendant une heure, je me suis perdue, mon GPS n’était pas sûr de lui. J’ai fini par m’apercevoir que je n’avais pas le choix : je devais reprendre le chemin où j’avais croisé Monsieur Furieux. Mes notions des territoires animaux sont très rudimentaires mais j’étais sûre qu’il n’était pas loin. Il y avait un vallon à ma droite et, alertée par le bruit, j’ai vu toute une harde (un sanglier, une laie et rien moins que cinq marcassins) en dévaler la pente. Mes jambes me portaient à peine. J’ai appelé mon père ; l’entendre me rassurait, même s’il était visiblement aussi effrayé que moi, et je lui ai parlé d’une voix forte pour bien faire savoir aux suidés qu’un humain était dans le coin. C’était la surprise qui avait fait paniquer ce bel animal de 150 kg : j’essaie toujours de faire le moins de bruit possible dans la nature pour ne pas en déranger la quiétude (teubée, diraient les jeunes). Puis je suis revenue à la civilisation, à laquelle je préférais jusqu’alors la sauvagerie. Je ne sais pas si j’oserai encore faire ce que j’aimais tant jusqu’alors, me promener seule à l’aube dans l’habitat des autres espèces. Je ne pense pas. J’ai pris la photo ci-dessous avant de regagner la Factorie, on y devine une infime fraction de la forêt, j’en tressaille encore.
De retour, j’ai fait quelques recherches et il s’avère que j’ai eu les bons réflexes. Pour ne citer qu’un article :
« Lorsque l’on se balade en forêt, il peut arriver de croiser un sanglier au détour d’un fourré. C’est rare, car le sanglier se déplace peu en journée, mais ça arrive. Dans ce cas, mieux vaut savoir comment réagir, notamment si c’est une mère avec ses petits. En effet, le sanglier fait partie des espèces qui n’attaquent que pour défendre leur progéniture. Et quand on sait que cet animal peut peser jusqu’à 200 kilos, il est préférable d’éviter de le mettre en colère…
Sommaire
- restez calme
- gardez vos distances
- ne courez pas
- grimpez à un arbre
- zigzaguez
Faites comme si de rien n’était. Continuez à marcher tranquillement sans le regarder mais en prenant tout de même la direction opposée. Dans le cas contraire, vous lui feriez peur et il risquerait alors d’attaquer pour se défendre. »