Première insomnie sérieuse depuis le début du confinement : une heure de sommeil, par bribes. Un sommeil comme un bibelot cassé – disons un oiseau en faïence.
De vieilles photos que j’ai prises
en 2017 (les trois ci-dessous)
Je n’aime pas le livre que j’ai fini de lire cette nuit, je ne le garderai pas, bien qu’il parle de Los Angeles et qu’à ce motif, je conserve quelques livres très moyens. Los Angeles est l’une de mes lubies de lecture, au même titre que le 11-Septembre et l’ouragan Katrina – et depuis bien plus longtemps. Le roman que je viens de finir péniblement a presque réussi à me dégoûter de la mégalopole monstrueuse et à me décourager de l’explorer un jour comme j’en rêve depuis vingt-cinq ans – j’y passerais un mois en immersion, à supposer que, de mon vivant, le voyage redevienne une possibilité, ensuite de quoi j’aurais vu tout ce que j’avais envie de voir sur cette planète avec assez d’urgence pour ternir l’exemplarité de mon empreinte carbone.
Tchernobyl aurait pu être une de mes lubies ; je me suis souvent demandé pourquoi ce n’était pas le cas. Hier soir, mes amies m’ont appris qu’un incendie y sévissait depuis deux semaines, avec les conséquences que l’on peut imaginer. (Je suis redevenue incapable de lire des informations et dois compter sur mon entourage pour me relayer les plus importantes.) Je ne peux m’empêcher de voir toutes ces saloperies qu’endure l’espèce humaine comme une poignée de poivre qu’elle a jetée contre le vent et qui lui revient dans les yeux – cette métaphore me vient en écho à une discussion que j’ai eue hier après-midi avec ma mère, au téléphone, alors que nous parlions de tout autre chose.
Dame Sam ne quitte plus mes genoux (ou mon ventre, la nuit) depuis que mes anciens co-confinés sont rentrés chez eux. Elle est redevenue ma petite glu et pousse mes mains de la tête quand je suis trop longtemps concentrée sur mon travail sans la caresser. Aujourd’hui, nous attaquons notre texte en cours à 5h30. Une pluie fine et dense, à l’odeur réconfortante, commence à tomber vers 7h30. Vers 8h30, le couple mixte qui fait chaque matin treize fois le tour du lycée passe avec deux parapluies. L’homme et la femme sont toujours vêtus de couleurs sombres et j’ai fini par les considérer comme des concepts. Des silhouettes. Ce matin, leur constance et leur bel unisson de jambes et de bras m’émeuvent et j’en envie l’accord parfait, presque chorégraphique. C’est une pluie douce et silencieuse qui exhausse les parfums organiques et ils tournent en-dessous d’un pas vif.
10h51. Je lève la tête de mon écran pour réfléchir, regarde par la fenêtre et vois un vanneau huppé se poser brièvement sur la cheminée de ma cuisine, les cheveux mouillés. Trois secondes plus tard, il est déjà parti. 12h25. Le gros chat blanc du quartier se lave tranquillement dans mon jardin et réverbère le soleil désormais intense. 14h. Je vais courir, après avoir écrit pendant près de huit heures.
Aujourd’hui, la ville est plus déserte que jamais. Je croise aussi peu de voitures que de piétons et, un instant, je m’inquiète d’avoir raté une info importante. Ce serait bien mon genre.
Le vide du jour avec détritus (du jour également)
La bande de pelouse à crottes qui sépare le parc de la jeune athlète (lui-même fermé) de l’autoroute (dont on aperçoit ici un échangeur désert) est condamné par des barrières municipales. Au cas où des petits rigolos y organiseraient une free party et rouleraient des pelles pleines de covid, sans doute.
Le gant du jour
est mauve. C’est le premier gant mauve de ma collection et je suis presque joyeuse en le voyant se mêler là aux débris végétaux, ravie comme à l’époque des autocollants Panini : Je ne l’ai pas encore, celui-là ! me dis-je en dégainant mon appareil.
Dans mon refuge, aujourd’hui, en plus de neuf lapins, j’ai vu mon premier canard depuis neuf jours (cette coïncidence me console de ce qu’il n’entre ici aucun nombre premier). J’ai tâché de l’approcher le plus doucement possible mais il a eu peur de moi et s’est envolé.
Alors que je faisais mes étirements, de retour chez moi, j’ai constaté qu’un des chats errants du quartier, avec qui je m’entends de mieux en mieux et qui est une véritable splendeur asymétrique à la Joe (feu mon autre chat bien-aimé), a une énorme pelade sur le flanc droit, alors j’ai pleuré. Des candidats à l’adoption ? Je sais ce que vous vous dites, mais Dame Sam ne souffre aucun partage.
La musique du jour
Comment ne pas me répéter, ne pas citer encore les effets proprement hallucinants de Fleetwood Mac sur ma mémoire et sur ma conscience (j’ai poursuivi mon introspection cet après-midi) ou mon héroïne Jenny Hval, dont les quatre derniers disques m’ont été, aujourd’hui comme bien souvent, un baume inestimable ? La voici avec une chanson subtilement désarticulée tirée de son avant-dernier opus, le EP The Long Sleep.
We will not be awake for long
We’ll meet in the smallest great unknown
Le conseil lecture du jour est la rubrique sabordée aujourd’hui. Elle a cessé de m’amuser. Ne lisons pas, voilà tout : lire est une activité non essentielle, comme courir. Pour preuve, la plupart des gens se contentent de lire leurs téléphones, assis sur leur cul, et ils ne meurent pas. Ils soupirent juste en disant, C’est long. Ou ils invitent des gens et rient gras. J’ai hâte que ma voisine reprenne sa vie habituelle et ses esprits.