Quand un magazine hollandais a désigné Charleroi comme la ville la plus laide du monde, j’ai senti qu’elle pouvait me plaire. J’y ai trouvé des échos des paysages miniers qui ont baigné mon adolescence, mais aussi des paysages post-industriels qui accueillent mes courses à pied et, en super bonus, quelques atmosphères berlinoises. Un après-midi ne m’a pas permis d’embrasser tant de splendeur : il faudra y retourner.
Cette photo a été prise dans une station souterraine sur la ligne de métro à l’abandon qui relie Montignies-sur-Sambre à Charleroi.
Le métro fantôme
Pour accéder à la ligne du métro qui relie Montignies-sur-Sambre à Charleroi, à l’abandon depuis des décennies, l’on descend sur les rails ici même, en contrebas d’une passerelle mal en point. L’on saute sur un matelas posé en travers des voies et, plus tard, l’on remontera plus ou moins à la force des bras, avec une plaque de béton en guise de marche-pied.
D’un côté, la végétation rend la progression difficile (mais pas impossible). Des roseaux poussent dans la broussaille et l’on entend par endroit des écoulements d’eau qui semblent expliquer ce phénomène étonnant.
De l’autre côté, l’on atteint rapidement une station souterraine, dans laquelle il serait dangereux de s’aventurer sans lampe de poche (toutes les bouches d’égout sont béantes). En l’absence d’un matériel photo adéquat, l’on obtient des images assez effrayantes (proches de ce que l’on peut ressentir sur place, dans le seul bruit de l’écoulement d’eau et l’obscurité totale – c’est de cette station que provient le tag « Welcome to hell » ci-dessus).
Après le tunnel, l’on arrive à découvert, en contrebas de la rue puis dans une espèce de couloir végétal formé par les haies des jardins qui nous surplombent, et l’on marche, dans les aboiements des chiens (bien plus effrayants que tout le reste), jusqu’à une station gorgée d’une lumière qui rend également difficile la prise de photos, du moins en un jour de grand soleil.
Je poursuis, toujours à découvert, dans une tranchée clôturée de part et d’autre par un grillage.
Puis je marche sur le ballast du métro aérien.
La station à laquelle je parviens me rappelle, sans doute en raison de la chaleur et du profond silence, celles du métro berlinois à l’approche de Wannsee.
Ici, je suis repérée par des habitants des maisons en contrebas, qui me montrent du doigt. Alors je me rappelle les mises en garde d’un graffeur rencontré juste avant le grand saut et je déguerpis.
Je ne suis pas très sensible aux fresques urbaines mais quelques-unes ici m’ont vraiment plu. Je me contenterai d’une photo de détail, en couleur parce que ça lui va bien.
Mon truc, c’est plutôt les objets trouvés. Ils ne manquent pas, sur les voies du métro (certains tronçons de la ligne sont de véritables décharges) mais diverses natures mortes ont particulièrement attiré mon attention. En voici deux.
L’art
Charleroi tâche de se reconstruire après avoir connu la misère, culturelle autant qu’économique. L’on y trouve aujourd’hui un Palais des Beaux Arts moderne et actif, un musée de la photographie très prisé, Charleroi Danses (Centre chorégraphique de la Fédération Wallonie-Bruxelles), etc. Autrement dit, Charleroi aime l’art ; vous et moi aussi, ça tombe bien. Suivez-moi pour une modeste visite guidée en sept images.
D’abord, exceptionnellement, un peu d’art officiel avec un détail de la Passation de l’artiste belge Martin Guyaux, qui s’élève très haut sur la place du Manège.
De l’art judiciaire aussi, dont vous apprécierez sans doute les nombreux détails – particulièrement le poulpe.
Et enfin, de l’art royal et historique avec ce portrait d’Albert 1er, le Roi des Belges, qui trôna entre deux Léopold.
On prend un rafraîchissement au Café du Monument, établissement chaleureux où tout le monde se connaît, se fait un bisou (unique) pour se dire bonjour et s’appelle par des petits noms tels que l’Affreux et on admire, à contrejour, le monument qui donne son nom au café.
La ville de Montignies-sur-Sambre, dans la banlieue de Charleroi, voue un intérêt véritable et poignant à l’art de jardins et façades, celui-là même que j’aime d’amour tendre.
L’on y trouve aussi le genre de coquines qui grouillent dans les jardins et fenêtres des Hauts-de-France.
Mais l’on y savoure surtout l’humour belge.
Je n’ai pas osé photographier certains temples du bon goût, dans lesquels des dizaines d’oiseaux s’embrassaient et s’embrasaient sous le regard ému de biches en stuc : ça sentait le gros chien et le gros plomb de carabine, je me trouvais dans un chemin étroit qui évoquait certains films d’horreur et j’avais peur de mettre ma vie en danger.
Des usines
Ce n’est pas ce qui manque, les usines, à Charleroi. Certaines sont encore en activité, comme celle dont l’image ci-dessous est un détail du type orteil de l’odalisque. La lumière ne permettait pas de prendre le site en photo sous tous les angles que j’aurais souhaités – je reviendrai un jour de grisaille ou de pluie.
Celle-ci, en revanche, a visiblement cessé de tourner depuis quelque temps, à en juger par son délabrement…
… et par la santé de la végétation qui l’assaille.
Le site est sous surveillance, cela explique sans doute qu’il ne soit pas couvert de tags – je n’en ai vu aucun ; ni aucun gardien ni aucun chien, et c’était préférable car l’on ne miserait pas sur la solidité des bâtiments ni de ses passerelles pour engager une course-poursuite.
Dessous, c’est de la dentelle qu’inonde la lumière du soir.
Dedans, des cuves et des cadrans incompréhensibles.
Autour, c’est particulièrement post-apocalyptique : un no-man’s land de ferraille et, tout au fond, un terril en combustion.
Mais carrément en feu, le terril, on ne parle pas de fumerolles, là – vous le voyez mieux ici, derrière ce château d’eau qui semble pointer des canons vers l’entrée de l’usine ?
Le château d’eau en question, quoique menaçant, fait figure de nabot auprès de l’immense cheminée en béton qui déjoue toute perspective dans mon objectif.
Mal assis, là
Mal assis à Charleroi.
Mal assis à Montignies-sur-Sambre.
Un peu de géométrie
Clinique en démolition, centre de Charleroi.
Hôtel de police. Il a vraiment cette forme (ce n’est pas une illusion de perspective), droite d’un côté, pseudo conique de l’autre.
Un morceau de l’usine en activité que j’évoquais plus haut.
Encore une vue d’une station de métro désaffectée.
Ce que je suppose être le terminus de ladite ligne de métro, à Montignies-sur-Sambre.
Upper rooms, kitchens et buanderie
(Église Saint-Christophe.)
Dans une impasse de Montignies-sur-Sambre (du moins est-ce une impasse pour les voitures – le piéton aura de belles surprises dans les méandres de petits chemins comme je les aime), l’on tombe en pâmoison devant cette chapelle que côtoie un étendoir à linge en plastique.
L’on s’approche de la fenêtre et l’on découvre, à l’intérieur de la chapelle, un autre étendoir à linge, d’un autre modèle que celui de l’extérieur. Ici, La Sainte Vierge, son fils et tous leurs amis saints, danseurs et autres porte-flambeau nus mettent vraiment la main à la pâte dans la vie quotidienne de leurs fidèles.
Entre les deux villes, et entre deux tags très menaçants (car cela se passe dans une station de métro désaffectée), un montage biblique.
Si vous allez à Montignies-sur-Sambre, je vous conseille de déjeuner dans l’un des fast-foods du mini centre commercial, rue du Calvaire (près de l’hôpital Reine Fabiola). Installez-vous en terrasse et humez la langueur de l’après-midi naissant. L’atmosphère, le vide, la lenteur, tout cela m’a rappelé les États-Unis (le pays cajun, pour être exacte), comme beaucoup de choses en Belgique le font (à commencer par l’émission de blues que l’on peut écouter en filant vers la nuit sur l’autoroute déserte). Les clients du centre commercial marchent d’un pas traînant, le patron de Oh ! (le fast-food que j’ai choisi) débarrasse une tasse à la fois, celui du bar-tabac d’en face somnole sur une chaise en plastique et, tout au bout de la rue du Calvaire, la Vierge Marie s’adosse au mur après avoir fini sa canette.