et encore un sanglier : voici Extrasystoles

Ma rencontre avec un sanglier dans la forêt de Bord lors de ma résidence à la Factorie en janvier 2022 a trouvé place dans la toute nouvelle collection des Carnets du Dessert de Lune, Lune de Poche. Parution officielle après-demain. A défaut d’avoir encore pu voir et feuilleter le livre, j’ai reçu cette newsletter de l’éditeur ce matin :

« Extrasystoles – Fanny Chiarello

Extrasystoles, récit poétique haletant nous entraîne dans la fulgurance d’une rencontre. Avec une observation incisive, crue et tendre à la fois, et non sans une certaine ironie à ses dépens, Fanny Chiarello écrit l’entrechoquement entre la rencontre d’un sanglier – pendant une résidence d’écriture en Normandie – et un amour absent. L’irruption d’un réel brut et menaçant est ici formidablement restitué : un authentique témoignage de l’expérience de la peur. C’est un texte qui nous déplace en même temps qu’il nous ramène à l’essentiel. »

agenda

Mes trois prochaines rencontres :

demain à Bordeaux,

« Fanny Chiarello explore ville ou campagne en courant ou à vélo, dans une lecture poétique enthousiasmante de vitalité. Victoria Guerrero retrace les femmes au fil des conflits et nous renvoie au réel en poésie. Lisette Lombé, poétesse, et Cloé du Trèfle, musicienne électro, s’associent pour une lecture organique et pulsée racontant une reconquête de soi.

Une soirée proposée par la Maison de la poésie de Bordeaux en partenariat avec l’association Klac »

Merci à Patrice Luchet pour l’invitation. (J’y serai incognito puisque j’ai désormais une véritable crinière, que je laisse le vent sculpter à sa guise, personne ne me reconnaîtra).

La semaine prochaine, je retrouve Wendy à Montreuil pour le festival Hors Limites

Et le 16, je retrouve ce cher Lucien à Metz pour le festival Poema

Youyou Ciao

Je ne m’attendais pas à pleurer dans le train, encore moins à sangloter, encore moins à tant sangloter. Comme si le départ avait ouvert les vannes d’une mélancolie qui enflait depuis quelques mois. J’aurais pu écrire un livre entier pour dire la perte, le délitement, le sentiment d’un monde qui disparaît (au profit d’un autre où je n’ai pas toujours ma place et auquel je trouve peu de charme) mais aussi la beauté mélancolique de la campagne et de vies modestes, parfois rudes, qui se vivent à l’écart de la grande agitation – j’ai pour elles une tendresse infinie, si l’on fait abstraction des chasseurs, éleveurs & Cie. Pas de vanité, là où je viens de passer un mois ; pas de place pour la vanité. Hier, je n’ai pu m’empêcher de faire une dernière petite virée à vélo pour dire encore au revoir et j’ai découvert que la maison à toit de chaume qui fait face au télésiège dispose d’un minigolf privatif complet, mangé par la mousse, à 500 mètres du minigolf public (comment avais-je pu ne pas le remarquer plus tôt ?) et je me suis dit que vraiment, je devais revenir et écrire sur la frontière, même si je sais que mes camarades me manqueront, si je reviens, et que je ne me sentirai plus chez moi.

Ce matin, avant de partir, j’ai fait le tour du parc en espérant voir des chevreuils et j’ai enregistré un concert de pics-verts. Puis je suis retournée à la Villa, rejoindre Adèle et sa mère qui allaient me déposer à la gare de Bailleul, j’ai pris une dernière photo de son plus beau flanc et, quand je l’ai contournée vers l’entrée principale,

j’ai trouvé Adèle qui enregistrait les oiseaux, elle aussi.

Je vous dis à bientôt, Youyou, Adèle et Chab <3

Youyou 25

Hier, mes camarades et moi, pleinement réconcilié.e.s, avons bouclé la boucle : nous avons bu un dernier verre de dimanche soir au Mont Noir, USA.

Ce matin, en courant, j’ai dit au revoir au télésiège, à Hellegat, à Heuvelland, je n’ai vu aucun chevreuil mais le soleil s’est levé, ça faisait longtemps. Ce mois est passé très vite, bien qu’il me semble être partie depuis un an – c’est le temps élastique de ce type d’expérience. J’ai vécu la même chose à New York en 2017, ma seule autre résidence longue à ce jour : alors que le départ approche, je ne sais plus vraiment où est (ni ce qu’est) ma vie, je suis perdue, à la fois mélancolique et soulagée, un peu anxieuse mais ça, c’est à cause de mon calendrier suffoquant.

Youyou 23

Je suis retournée au Mont des Cats, cette fois pas en courant mais à vélo.

Et depuis son sommet, j’ai quasiment vu ma maison – et celle de mes parents, encore plus proche du fleuron que la mienne.

De quel fleuron je veux parler ? Zoomons un peu. Vous voyez ?

Zoomons encore un peu. Ce n’est pas un petit tas, notre 11/19 : on le voit à 39 km à vol d’oiseau. Je lui ai crié, J’arrive et j’ai même ajouté un point d’exclamation.

Il me reste trois jours pour faire une dernière fois le tour de mes coins préférés, entre le Mont Noir et Bailleul (qui me fait signe au revoir, ci-dessous). Enfin, une dernière fois… Je reviendrai, c’est sûr.

Aujourd’hui, je suis même allée dans la campagne belge au risque des chasseurs et des chiens très gros.

Le Mont Noir est une vraie ville frontière, une ville de western, avec ses saloons alignés sur une crête et, de part et d’autre, en aval, la campagne à perte de vue. Si on va derrière Edisac, on voit ceci

et si on descend derrière les arbres,

en un instant on est sur un petit chemin boueux bordé d’arbres sublimes

qui sinue entre les champs et les pâtures.

Et pour arrondir ce billet à un nombre premier d’images, voici un arbre électrique d’Heuvelland, très flou parce que je l’ai pris en photo avec mon téléphone pourri sous le crachin du matin.

Youyou 21

La fin de la résidence approche. Ce soir, nous ouvrons notre salon au public pour une heure d’échanges, c’est à 19h si vous passez dans le coin pour acheter des machins pas chers au Mont Noir (cigarettes, bière, chocolat, etc.) ou que vous venez faire des glissades dans la boue (cette partie-là du paysage n’a pas été la préférée de mon amoureuse, le week-end dernier). Dans une semaine, je commencerai à remonter à la nage un fleuve de deux mois plein de foutus trains, d’ateliers, de paperasse et cette perspective m’empêche d’éprouver la joie de retrouver ma maison, mon territoire, mes habitudes – en ai-je encore ?

Je sais désormais que je ne pourrai jamais vivre à la campagne et que les éleveurs sont des psychopathes encore plus flippants que les chasseurs, si c’est possible. La campagne est un artefact immonde et n’a rien à voir avec la nature ; la campagne est l’exploitation forcenée de la nature et sa beauté, quand on l’approche d’assez près, sent la mort et la cruauté. Je rêve qu’il existe un enfer où tous ceux qui auront passé leur vie à séquestrer et torturer des animaux et à saccager des biotopes paient pour la souffrance qui aura été leur trace sur cette planète. En attendant, et avant de m’accrocher au radiateur de ma chambre (la chambre Hadrien) pour ne pas devoir honorer mes engagements professionnels des deux prochains mois, voici trois photos que j’ai prises en courant ce matin, d’abord le parc de la villa vu depuis Saint-Jans-Cappel, puis quelques visions de la campagne – qui est si belle, vraiment, quand on n’entend pas le désespoir des vaches résonner dans des hangars clos.

Youyou 14-15-16

Jeudi, je suis allée au Mont Kemmel à vélo. Je n’ai pas vu son presque célèbre état-major en bunker, n’étant pas une passionnée d’histoire militaire – à l’inverse de Marguerite, qu’elle me pardonne : je vis chez elle mais je suis incapable de lire un de ses livres en entier. Trop de batailles, trop de noms de généraux, etc., je ne suis vraiment pas sensible à la littérature académicienne. Mais j’ai apprécié le Mont Kemmel,

sa chapelle interdite,

ses ours,

et même son ange – en oubliant qu’elle est aussi, cette ange, un monument militaire, je lui trouve une beauté très particulière et mélancolique.

Vendredi, je n’ai pas vu de chevreuil alors que j’en aurais eu bien besoin après avoir été traitée comme une employée sur la sellette par une compositrice dont je mettais le travail en valeur dans mon texte mais j’ai réussi à rester polie ; Valentina veut que j’efface toute référence à cette femme de mon livre mais je vais plutôt faire la distinction entre un individu glaçant et son travail. Valentina est arrivée ici à temps pour me consoler de ce décevant épisode. Je lui ai fait visiter tous les incontournables de mon territoire temporaire, dont Levende Toren, qu’elle m’a dit préférer à la tour Eiffel.

Elle a tout aimé : les bois, les bunkers, les chapelles, le Mont Noir ville frontière, son magasin Robot, le télésiège, le musée à domicile,

le Kosmos

et ses toilettes roses,

l’estaminet de Hellegat qui accepte de cuisiner vegan, ses bonnes bières locales, sa soul des années 50 et sa déco de brocanteur, mais aussi les arbres creux

et les crépuscules.

Youyou 13

La paix est revenue au sein de la Villa. Le trouble passager a du moins permis une légère tectonique de groupe qui était nécessaire après dix jours de vie ensemble – me vient à l’esprit que ce genre d’expérience de cohabitation pourrait faire l’objet d’une étude sociologique (ou d’une émission de téléréalité). Mon projet avance à bonds de chevreuil puisque je n’ai quasiment aucune interaction avec l’extérieur, reportant à plus tard la réponse aux mails qui continuent d’affluer, ne mettant plus un œil sur le seul réseau social auquel je sois abonné (si j’y suis particulièrement peu active, je m’aperçois quand je n’y suis pas du tout que le flux continu d’images au mieux sans intérêt, au pire agressives, autopromo, couvertures de livres et plats carnés, représente une véritable pollution de l’esprit ; je croyais m’en tenir assez loin pour épargner mon cerveau mais cette prise de distance radicale me prouve que zéro dégueulis visuel est encore mieux que 13′ par jour). Donc je suis à mon bureau face au parc, j’ai une bonne petite enceinte pour diffuser la musique dont je parle dans mon livre et parfois je souris d’aise, comme si ce mois où je m’autorise à faire ce qui est censé être mon travail, c’était des vacances. Je me suis rendu compte que c’était le cas : écrire, c’est devenu des vacances. Je rêve d’une année sabbatique. Je m’offrirais bien ça pour l’année 2023-2024, tiens, ça me sauverait peut-être la santé.

Ce matin, j’ai vu ces chevreuils traverser la frontière que marque l’orée de ce bois, près de Covemaekermetaalconstructie.

Puis j’ai traversé le fascinant Hellegat (trou de l’enfer) pour aller revoir son Kosmos et son bois pour sangliers. (Cf. Youyou 7.) En voici quatre images + un détail. Je vous laisse admirer – malgré la piètre qualité des photos.

Youyou 12

Les jours se suivent et ne se ressemblent pas, les heures se suivent et le ciel ne se ressemble pas, le vent pousse les nuages si vite que l’on passe constamment du bleu au plomb, le froid mord les doigts sur le guidon du vélo. Les humeurs font pareil ; hier, j’ai dû me replier dans ma chambre pour m’épargner une séance de mansplaining (je suis de très mauvaise composition face aux mâles alpha, ils ne m’impressionnent tellement pas). Ce matin, comme pour me consoler d’avoir été grondée comme un enfant, le soleil s’est levé (ce qu’il est loin de faire tous les jours depuis mon arrivée ici) et sept chevreuils ont bondi autour de moi, d’abord trois près du Ravel Put à Boeschèpe puis quatre sur un sentier sans nom en contrebas du Mont Noir. Voici quelques photos d’hier après-midi à vélo et de ce matin en courant. D’abord, une chapelle jouxtant une zone piégée.

Puis une bonne nouvelle – ou presque : si la chasse est interdite à cet endroit, c’est pour éviter que des chevaux séquestrés ne soient abattus par mégarde.

Un paysage typique de la Flandre – paradisiaque hors saison de chasse et à distance des élevages où des vaches qui ne voient jamais la lumière du jour meuglent en vain dans des hangars clos, chaque fois j’en pleure de désespoir. Je n’ai même plus de colère, je sais que ça ne sert à rien et que cette exploitation barbare existera tant qu’homo sapiens existera. Je ne peux que pleurer, adhérer à L214 et observer un strict véganisme.

Le genre de choses que je vois avec mes jumelles depuis la fenêtre de ma chambre – à cette différence que les jumelles offrent une netteté qui n’existe pas à l’œil nu, c’est comme voir en relief pour la première fois.

Ce matin, entre deux hardes de chevreuils, près de Levende Toren.

Depuis Levende Toren.

Quelques minutes avant la seconde harde du jour.

Youyou 11

Ce matin, j’ai vu 10 chevreuils en deux hardes, une de 4 et une de 6. Je n’y croyais plus, ça faisait trois jours que je n’en avais vu aucun. Quelle fête… J’en ai d’abord vu un

puis, après que nous nous sommes longuement observé.e.s, il s’est éloigné sans hâte et c’était comme s’il dépliait une ribambelle derrière lui – je dis lui mais c’était peut-être une chevrette. Et hop, quatre miroirs blancs (ainsi que l’on désigne leurs petits culs) bondissaient à travers la prairie.

Dix minutes plus tard, je me tourne et vois six chevreuils et chevrettes immobiles, tourné.e.s vers moi en un petit groupe serré. Le temps que je trouve mon téléphone pourri pour prendre une photo de famille, ils et elles avaient cessé de poser pour se carapater. On en aperçoit quelques-un.e.s sur la photo ci-dessous.

Détail flou :

Quelques arbres bavards du parc de la Villa :

Deux moulins français (il s’en est fallu de quelques centaines de mètres qu’ils ne fussent belges – oui, j’emploie le subjonctif imparfait, parce que je suis en train de lire Marguerite) et deux aigrettes domestiques plus grandes que moi, à Saint-Jans-Cappel.

J’ai pris la photo hier, le jour où il a fait beau (avec tout de même des rafales de vent à 80 km/h) et où j’ai inauguré le tout nouveau vélo de la Villa – j’ai fait un pataquès pour qu’il y en ait un, les autres avaient été retirés par le département parce qu’ils avaient rouillé faute d’avoir jamais servi ; on a compris pourquoi et le nouveau vélo est à judicieuse assistance électrique. Je n’avais plus envie d’en descendre.