Le Quartier

Le week-end dernier, j’ai participé au festival Leitura Furiosa, à Amiens. J’ai passé une journée à échanger avec des habitantes d’Amiens Nord, qui est ce que l’on appelait autrefois la ZUP, plus récemment la cité ; aujourd’hui, on dit le quartier. Chaïma, 16 ans, Maryam et Sarah, 19 ans et Laurence, 62 ans, étaient mes interlocutrices. De ce que nous nous sommes raconté (15 pages de notes), j’ai tiré ce texte de 3000 signes, comme le voulait la consigne :

Chaïma, Sarah, Maryam et Laurence vivent dans le Quartier. Elles appellent Amiens Nord Le Quartier. Pour elles, le Quartier, c’est Amiens et Amiens, c’est le Quartier. Quand quelqu’un d’extérieur passe par le Quartier, disons quelqu’un d’Ėtouvie, tu le remarques tout de suite. Comme un intrus chez toi.

On ne sort quasiment pas du Quartier. On fait surtout les courses au marché, peu dans les magasins. S’il y avait un Zara dans le Quartier, on ne sortirait pas du tout – sauf qu’il serait vite incendié : tout ce qu’il y a dans le Quartier finit par brûler.

Laurence ne rend pas souvent visite à sa mère : Moreuil n’est qu’à 30 minutes de voiture mais l’essence coûte cher. Le train ? Elle ne connaît pas le train, la pratique du train, elle s’endormirait, elle se réveillerait trop loin. Le bus, ça va, et il est gratuit le samedi.

Il y a de grands espaces verts autour de la barre où vit Maryam. On peut voir les rats courir sur les pelouses – et sous les voitures, ajoute Laurence, ils font la course sous les voitures. Mais Amiens n’est pas une ville verte, non, vous croyez ça si vous n’êtes pas d’ici. Les Hortillonnages sont une attraction touristique. Laurence va parfois à Shopping Promenade, un centre commercial arboré, en plein air : on n’est presque pas enfermé-e.

Les gens qui n’y vivent pas aiment beaucoup Amiens, s’amuse Chaïma, quoiqu’elle-même ne souhaite pas partir, contrairement à Sarah qui s’imagine plutôt à Lille, à Paris, pourquoi pas dans le Sud : une ville où il y a plus de choses. Partir loin de sa famille semblerait égoïste à Chaïma, d’ailleurs elle aime le Quartier. Elle ne pourrait pas vivre dans un voisinage calme.

Tous les soirs, elle retrouve ses amies et ses connaissances. Garçons et filles se mélangent, disputent une partie de foot, mangent un morceau, parlent et rient, rient de tout. Sauf les jours de fusillade. Sauf quand des ados sont tués. Le reste du temps, voir les jeunes narguer la police, à quatre sur un scooter, la fait rire aux éclats : les flics ne sont pas crédibles, ils ne savent même pas courir. C’est pas les mêmes qu’à la télé, admet Laurence.

La vie du Quartier a ses mœurs, qui ne sont pas celles du centre-ville. Vous ne trouverez jamais les gens du Quartier dans un bar : c’est une perte de temps. Mais pas le shopping ? Ben non, ce n’est pas une perte de temps puisqu’on achète des choses. Est-ce que parfois, les jeunes parlent d’écologie ? Le groupe s’esclaffe : Jamais !

Sur la planète, il y a la ville d’Amiens. On y trouve des quartiers chics et des quartiers chauds qui sont eux-même divisés en sous-quartiers, comme le précise Antonin du Relais Social. Dans chaque sous-quartier se côtoient des cultures et des langues différentes. Dans le Quartier, dit Amiens Nord, on connaît le racisme et l’exclusion, parfois on a la haine. On se comprend, on a vécu les mêmes situations, dit Chaïma, 16 ans. Alors on reste entre soi, on ne se mélange pas.

Basta Now # 5 Burnout

Le début de mon année a été aussi épuisant que passionnant ; je n’ai rien pu assimiler de ce que je vivais, tant tout s’enchaînait. Suis-je vraiment allée en Californie ? Sur la photo qui accompagne ce mix, nous sommes en vol vers elle ; à mon retour, j’allais filer directement de l’aéroport London Heathrow à la Villa Yourcenar pour une session Vertébrale(s), sans même repasser par chez moi, le cerveau ramolli par le jetlag. Pas le temps de me remémorer les deux semaines intenses entre Los Angeles et San Francisco. Et toute l’année, jusqu’au mois de mai, serait ainsi, sans répit, sans respiration. En février, j’ai commencé à sentir les signes du burn-out et je commence tout juste à me sentir mieux mais mon corps a pris dix ans.

J’ai essayé de traduire (avec humour) ce que j’ai ressenti pendant ces quelques mois dans le mix que voici. Des femmes pleurent, rient trop fort, crient, sifflent, des batteries s’emballent, des cuivres fondent. Je me suis beaucoup amusée : par moments, on entend trois morceaux simultanément, Jennifer Walshe et Ursula Häse semblent communiquer par yodel depuis deux sommets montagneux distants, Jennifer toujours elle et Yoko Ono se répondent dans une langue animale inconnue tandis qu’Anne Gillis sanglote et que Le Fruit Vert réprouve ces vanités des vanités des vanités des vanités des vanités des vanités des vanités. Je veux bien faire ça comme job : mixeuse. Pas DJ, non, ce que j’ai fait sur ce mix-là a plus à voir, au fond, avec les plunderphonics – sauf que je ne pars pas de chansons populaires mais de

Anne Gillis, Ondulatoires
Jennifer Walshe / The Dowager Marchylove, The Wasistas of Thereswhere
Bär&Hase, YodExpAli
Le Fruit Vert (Andrea Jane Cornell & Marie-Douce St-Jacques), La Castiglione
Yoko Ono, Fly
Carolyn Connors, I’m a Big Man
Valentina Magaletti, Untitled
Guylaine Cosseron, Dis-le
Ka Baird & Muyassar Kurdi, III
Shitney (Katrine Amsler, Maria Faust, Qarin Wikström), Do you Like it?
Susana Santos Silva & Alexandra Nilsson, Blue Noise
a.hop (Ryoko Akama, suzueri, Veronica Cerrotta, Anne-F Jacques, Bonnie Jones, Elizabeth Millar, Liew Niyomkarn, Lynette Quek, Valentina Villarroel Ambbiado), A Rhythm and Portrait Song
Kusum Normoyle, Octopus
Salomé Voegelin / Claire Rousay, Hating it

Les cahiers de la vacance ~ 1

Qu’il est beau, ce premier volume consacré à la Vacance poétique de la Perle, fabriqué main sur de beaux papiers, avec des illustrations de Victoria Dorche. On y retrouve des extraits des textes que Marion Renauld, Cédric Lerible et moi-même avons écrits l’été dernier – dans mon cas, le texte Ici bientôt – et une préface d’Anna Serra. Ce magnifique objet est l’œuvre d’Aude Caruana pour les éditions O. Merci Aude, Anna et Victoria d’avoir offert à nos textes un si somptueux écrin…

New River Studios

Fabuleux moments avec Permanent Draft et le quatuor éphémère EP64-63, réunis à New River Studios à Londres, avant-hier, pour fêter la parution de notre première cassette par une nouvelle impro collective hyper volcanique. Ci-dessous avec moi, de gauche à droite, Agathe, Karolina (notre super graphiste), Yoshino, Valentina et Dali.

Et les quatre musiciennes, savourant les ovations après leur concert surpuissant :

Rinse France

Ce soir (de 23h à minuit – c’est-à-dire au moment même où nous fêterons le lancement de notre première cassette à New River Studios), Rinse FM France diffusera un mix de Permanent Draft à l’invitation du formidable (et adorable) Sébastien Forrester. Je me suis beaucoup amusée à préparer notre moitié du programme, avec les titres suivants :

Tanya Tagaq, Sulfur
Puce Mary, Dissolve
Amirtha Kidambi & Lea Bertucci, Extensions & Distortions
Nour Mobarak, Monte Albán Scream
Li Yilei, A Hush In The Dark
Valby Vokalgruppe, Bah (Opsendelse)
Audrey Chen, … Hand
Ute Wasserman, Strange Songs (extrait)
Nina Dante & Bethany Younge, When the Frogs Wake
Alexandra Spence, Bell, Fern III
Ute Wasserman, Strange Songs (extrait)
Klein, Camelot Is Coming

(les souffles et le cri sont de Jarboe – plus précisément de Swans, Hypogirl)

Et Sébastien a joué le jeu du 100% féminin pour sa moitié du mix. Je le remercie doublement…

Extrasystoles

est mon journal de résidence à la Factorie, Maison de la Poésie de Normandie, en janvier 2022. Il y est question de mes camarades de résidence (Anna, Catherine, Emanuel et Maud) ainsi que d’une peine de cœur classique mais surtout de ma rencontre avec un sanglier mécontent et de la manière dont cette rencontre a commencé à modifier mon regard sur le monde, particulièrement sur la dichotomie civilisation/sauvagerie et sur ma place incertaine entre celles-ci – ces modifications sont toujours en cours, c’est une lente tectonique mentale (la suite en octobre, je n’en dis pas plus pour l’instant parce que je ne suis pas sûre d’y être autorisée). Ce tout petit recueil est l’un des trois premiers titres, parus simultanément, de la bien nommée collection Lune de Poche, des Carnets du Dessert de Lune. Je le présenterai en mai à la Comédie du Livre, à Montpellier, puis en juin au Marché de la Poésie à Paris. Il sera également disponible sur le stand de l’éditeur au salon du 1er Mai à Arras, mais sans moi, qui ai patinoire ce jour-là.

Je mettrai bientôt en ligne dans le menu consacré à mes publications une présentation plus complète de ce petit livre, avec des photos et de la musique, comme toujours – ou presque : j’ai maintenant trois livres de retard et vous n’imaginez pas ma boîte mail.

EP 64-63 dans The Quietus

Merci à Jennifer Lucy Allan pour la première chronique de notre première parution – dommage qu’elle n’ait pas profité de cette occasion rêvée pour annoncer la naissance d’un label de musique expérimentale 100% féminin (le premier au monde, quand même – sauf erreur). Surtout un label qui publie une cassette boss level

Le lancement officiel de la cassette se fera la semaine prochaine à Londres, à New River Studios. Merci à Karolina pour ces superbes affiches

EP63/Ondata Rossa

Demain, nous fêterons l’anniversaire de Valentina et la première publication de Permanent Draft, qui voit réunies quatre musiciennes incroyables :

Dali de Saint Paul (Harrga, Viridian Ensemble, EP/64, etc.) est une vocaliste expérimentale qui multiplie les projets dans de nombreux registres ; elle y explore toutes les potentialités de la voix avec une intensité rare. Compositrice électroacousticienne et violoniste, Agathe Max (Abstract Concrete, KURO, Mésange, These Towns, etc.) travaille les textures et creuse une voie singulière à travers de nombreuses collaborations. Yoshino Shigihara (Yama Warashi) nourrit sa pop psychédélique atypique, à la fois tendre et engagée, de la folk et des danses rituelles japonaises, de free jazz et de musiques du monde. Valentina Magaletti (Vanishing Twin, Holy Tongue, Moin, CZN, Better Corners, Avvitagalli, V/Z, etc.) est une percussionniste qui s’illustre dans un large spectre de musiques expérimentales, des plus subtiles aux plus vitaminées, jouant aussi bien dans des grandes salles que dans des musées.

La rencontre à New River Studios de ces quatre musiciennes inventives rompues à l’improvisation allait être mémorable. Nous la devons au projet EP/64 de Dali, qu’elle décrit comme une invitation, lancée à ses ami.e.s musicien.ne.s, à célébrer la liberté et la joie d’être ensemble à travers la musique. Le projet, a-t-elle décidé, s’arrêtera après la soixante-quatrième performance. Intitulée EP 63 / Ondata Rossa, cette cassette veut donc conserver une trace de l’avant-dernière improvisation collective dans le cadre de ce projet à la fois ambitieux et généreux.

Dali : « About Ondata Rossa – red wave/tide. The title came to me after a jam and chat with Joanna Pucci, years ago. We were talking about the sometime overwhelming effect of period on some women, and being also political, it could be the surge of new ideas and actions, we urgently need to reinvent the world, life together. (…) Ondata Rossa est un titre assez adapté je crois à notre impro ce jour-là comme certains spectateurs me l’ont dit : ils ont eu l’impression d’être submergés par notre son et que c’était bénéfique, revigorant ».

En effet, si les univers des unes et des autres ont parfois des échos mélancoliques et sombres, la puissance générée par leur intersection est une force vive et lumineuse, par quelque étrange alchimie. Elle s’est aussi accompagnée sur scène d’un déferlement de couleurs et de formes. Laura Phillips, artiste visuelle, projetait en direct des images filmées qu’elle mêlait aux formes issues de sa propre collection, oscillant entre abstraction et figuration. Les deux images en faces A et B de la cassette sont issues de la performance et donnent un aperçu de son univers visuel.

Permanent Draft est heureuse et fière que cet étonnant EP 63 soit son DRAFT 1.

*

Merci à Karolina, notre formidable graphiste, qui a donné forme aux idées que nous avions émises en décembre, notamment à mon envie d’un boîtier en carton et d’une carte de style marabout pour les crédits. Finalement, le boîtier nous est parvenu en carton blanc plutôt que kraft et nous allions en pleurer quand l’inextinguible enthousiasme de Dali nous a remises d’aplomb. Le 26 avril, un concert de lancement aura lieu à New River Studios avec le quartet au grand complet, venez venez…

Montreuil

hier soir, j’ai parlé de L’Évaporée à l’invitation de la revue féministe La Déferlante, où mon éditrice me ferait la surprise d’être présente (comme elle l’est toujours, en fait) et où ma principale interlocutrice s’avèrerait être la sœur de la personne à qui je dois d’avoir un jour rencontré, à la Roche-sur-Yon, la véritable évaporée de mon réel

soit un sacré vertige de sororités diverses

merci à Nora Bouazzouni, qui modérait la rencontre et que j’ai eu grand plaisir à rencontrer ; merci au festival Hors Limites, à la revue La Déferlante, à la médiathèque de Montreuil, à la librairie Folies d’Encre, au public évidemment, et merci à Charlène Yves pour les super photos – en voici trois

Basta Now #4 At The Church

est en ligne sur Soundcloud, très précisément ici. Avec

Maria W Horn, Atropa
Alice, Jésus Christ
Claire Rousay, Peak Chroma
Áine O’Dwyer, The Little Lord of Misrule (+ Valentina Magaletti, « Le Saint Esprit est désolé mais le petit Jésus t’a puni.e »)
Diamanda Galás, The Lord is my Shepherd
Kali Malone, Sacer Profanare (+ bells from Sarah Davachi’s Hall of Mirrors)
Meredith Monk, Fields / Clouds
Clarice Jensen, The Organ That Made You Bleed
MonoLogue, The Sea From The Trees – A2
Puce Mary, Red Desert
Karen Gwyer, Nail Bars of the Apocalypse
Valentina Magaletti, Different Rooms

(photo prise à Cuinchy)

Je me suis beaucoup amusée à faire ça ; bricoler ce genre de mix avec mon petit logiciel libre est l’une de mes nouvelles activités préférées… J’ajouterai que la voix de Valentina disant le petit Jésous t’a pouni.e (enregistrée spécialement dans la perspective de ce mix, il y a bien longtemps déjà) est absolument irrésistible ; elle intervient à la fin du morceau d’Áine O’Dwyer tiré de son super album Music For Church Cleaners.