Les arrière-mondes que je vous présente ici se situent dans un périmètre de moins de cinq kilomètres-carrés. Ils ne communiquent pas ensemble et diffèrent tant, dans l’esprit, que quand on en traverse un, on se sent très loin des autres. Je les ordonne dans un sens de lecture classique, de haut en bas et de gauche à droite, autrement dit vers le sud-est. J’aurais aussi pu les classer dans l’ordre du plus accueillant au plus inquiétant, auquel cas le dernier resterait le dernier.
1. Suivez-moi. Passez les grilles et les blocs de béton qui voudraient obstruer le tunnel. Entrez dans le tunnel. N’ayez pas peur. De quoi s’agit-il ? D’une autoroute à l’abandon ? D’une voie ferrée ?
Cent mètres plus loin, voici le paysage que vous découvrez. Les éléments présents à l’image ne vous permettent pas de répondre à la question précédente, j’en ai conscience.
Sous cet angle-là non plus, je suppose.
Tant mieux : je n’aimerais pas provoquer un afflux de touristes dans ce lieu relativement préservé, à quelques décharges près.
Car il mène à des paysages inattendus : à presque la campagne – au loin, vous reconnaîtrez deux des tours Europe dont j’ai déjà dit, ici-même, combien elles me fascinent.
Vous longez le champ et, à votre gauche, se déploie un site ferroviaire désaffecté qui, quoique sous vidéo-surveillance, vous épargne les chiens, la police et autres milices. Du moins y ai-je échappé à chacune de mes visites.
Je n’ai pas récupéré d’isolateurs de caténaires pour décorer mon salon parce que c’est trop lourd pour la capuche de mon K-way, mais il y a l’embarras du choix : verre, céramique, petit modèle ou grand modèle.
Idem pour les nombres premiers : difficiles à transporter – puisque cloués dans des traverses.
Puis, sans barrière ni transition, vous parvenez à un dépôt ferroviaire qui n’est pas du tout désaffecté.
Fin de l’arrière-monde 1.
2. De part et d’autre de l’autoroute A27, deux arrières-mondes apportent un éventail d’étrangetés intéressant (quoique pas inépuisable). Il s’agit de zones infréquentées, sinon par des centaines de lapins et de lièvres.
Ma passion pour les plans de villes m’a longtemps tenue à distance des vues satellite mais j’ai appris à les apprécier depuis que je me suis prise de passion pour les arrière-mondes : elles permettent une vue d’ensemble sur des espaces dont on ne pourrait se représenter l’agencement à la seule force des jambes et de l’intuition qu’elles nous en donnent, en particulier des espaces qui ne sont pas tout à fait urbains (bois, carrières, etc.), voire qui ne sont pas tout à fait accessibles.
a. au nord de l’A27
Pour commencer, voici un arrière-monde interstitiel entre trois terrains de jeu réservés à la bourgeoisie : un centre hippique, un terrain de golf et un complexe motocycliste. L’on peut y pénétrer à divers points ; en sortir est plus compliqué. Certaines parties sont ouvertes sur l’avant-monde, comme on le voit ci-dessous.
Certains aménagements peuvent faire croire, fallacieusement, que l’on s’apprête à entrer dans un espace balisé.
Mais non. Là-haut, les sentiers sont extrêmement étroits, certains totalement obstrués par la végétation et notamment par les orties. Les lapins y bondissent de toutes parts.
Depuis ce promontoire, qui avance dans la verdure à la manière d’une digue, l’on peut apercevoir, d’un côté, le terrain de golf,
et de l’autre le complexe motocycliste dont vous avez pu voir le tracé sinueux sur le plan.
b. au sud de l’A27
Il y a bien des manières d’atteindre cet arrière-monde à presque la campagne. L’une de mes préférées consiste en un chemin étroit serti entre l’autoroute A1 et un champ ; un arbre déraciné cet hiver par une tempête est sa dernière cicatrice en date, elle oblige à faire un petit saut de cabri bien agréable entre deux foulées ; sur le talus qui descend vers le champ, de la monnaie du pape en abondance.
On n’est pas censé passer devant cette grille (qui mène selon toute vraisemblance à l’autoroute) ; il fallait tourner à droite plus tôt. Demi-tour, hop.
Un peu plus loin, on traverse ce passage à niveau agreste, autour duquel je prépare depuis le mois de septembre 2018 un petit travail photo que je vous livrerai en septembre 2019.
Vous n’y verrez pas ceci parce que ce n’est pas dans le bon sens.
Ici, comme ailleurs, les délinquant-e-s aiment démonter des voitures. Ça se passe sans doute la nuit, quand je ne cours pas là.
Dans le champ il y a deux bunkers
et dans les bunkers il y a du champêtre – un doux mélange d’orties et de barres de fer rouillé.
Tout au fond du champ, une série de buttes à lapins masque partiellement une voie de TGV.
On peut y accéder si on n’a rien de prévu ces prochaines années.
Ou on peut monter sur la butte, si on n’a pas peur de se faire broyer le pied par un piège destiné aux lapins, car cet arrière-monde n’est pas un paradis, l’on y trouve des chasseurs et des pièges posés par eux. J’en ai vu un cet hiver, un grand crétin qui visait l’entrée d’un terrier, prêt à faire exploser une tête de lapin pour son loisir. Il a baissé son fusil pour me laisser passer mais je ne l’ai pas regardé pour éviter de lui vomir dessus ou de retourner son arme contre lui. Si l’on accepte de prendre les mêmes risques que les lapins, on peut surplomber les champs et la voie de TGV.
On monte par là, comme ça
et après on peut regarder en bas, c’est chouette.
Sans ces raclures de chasseurs, le paradis des lapins et des lièvres ressemblerait un peu à ça (on s’y amuse comme des fous, ces temps-ci).
3. Pas très loin d’un ancien centre de tri postal et de son arrêt ferroviaire désaffecté,
un caddie brûlé nous invite à pénétrer dans un lieu bien protégé des intrusion par des blocs de béton et bittes chromées
On accède à ça. Ce n’est pas spectaculaire, de prime abord, je vous l’accorde
mais à y regarder de plus près c’est carrément un lieu d’art contemporain
et de multiples vernissages – vous trouverez ci-dessous des résidus de fêtes mais aussi de mon ancienne rubrique consacrée aux sols.
4. Nous sommes dans la même ville, à peine un kilomètre au sud-est de l’arrière-monde n°2b ci-dessus. Nous l’atteignons après avoir traversé un parc d’activité différent de celui que nous présentions à l’instant – bien plus étendu. Nous en apercevons un bâtiment de tôle, en arrière-plan de ce petit chemin qui ne sent pas la noisette.
Ai-je déjà mentionné le fait que l’arrière-monde n’était pas seulement le théâtre de fêtes écologiquement inoubliables mais aussi un espace de décharge très apprécié ? Quoique bien plus difficile d’accès que les déchetteries, on s’aperçoit qu’il est convoité par un certain nombre d’entrepreneurs de BTP, de garagistes et de familles désunies (nous y reviendrons dans des numéros spéciaux de la rubrique L’arrière-monde).
Cette fois nous passons sous le TGV (le même) : ça change.
Des peintures rupestres nous avertissent de ce qui nous attend de l’autre côté du portique.
C’est, avant tout, une puanteur rare, non pas celle du fumier mais celle du liquide noir de nature indéfinissable qui constitue les flaques ci-dessous.
Quand on a traversé les champs glauques de cet arrière-monde, l’on débouche sur un pont qui surplombe l’autoroute. Les arrière-mondes ont toujours quelque chose à voir avec les autoroutes et les voies de chemin de fer, particulièrement de TGV.
Normal, me direz-vous, c’est le principe même des espaces interstitiels. Et puisqu’on en parle, quelques éléments visuels indissociables de ces derniers :