Qu’est-ce qu’un Chalet du Nord ? C’est une boîte aux lettres en forme de chalet. Comme ça, par exemple.
En courant dans les petites villes résidentielles qui constituent la banlieue de Lille, comme on disait autrefois (à savoir la métropole lilloise du vingt-et-unième siècle), j’ai très vite remarqué l’étonnante abondance de cet objet, à la fois décoratif et utilitaire la plupart du temps, sauf dans de rares cas – ci-dessous, par exemple, le chalet n’est pas fonctionnel mais juste esthétique.
Même chose pour celui-ci aussi, mais son cas est particulier dans la mesure où il ne semble pas avoir été conçu pour faire office de boîte aux lettres. Admirez les détails, notamment la mise en abyme.
Je me suis beaucoup amusée que l’appel de la montagne soit claironné si fort dans les jardinets de ma région, volontiers dite le plat pays. Cela dit, je dois admettre que quand j’ai constaté une abondance presque équivalente dans le Haut Jura, j’ai ri aussi : ça semblait redondant. C’était un peu comme si vous portiez un T-shirt de vous-même. Il arrive que l’on ait la même impression ici, dans le cas très particulier où un-e habitant-e a déployé des talents de bricolage au point que son Chalet du Nord imite sa maison, comme dans les deux exemples ci-dessous.
Contrairement à ce que suggèrent les précédents modèles, beaucoup de Chalets du Nord sont d’une grande simplicité – non sans présenter une grande diversité de formes. Celui-ci est quasiment un concept de Chalet du Nord.
De même que celui-ci, quoique dans un style plus décadent.
Celui-ci, que j’ai appelé « chalet modeste », est appelé à une démolition imminente, tout comme la maison dont il est une dépendance.
L’arte povera du chalet peut aller jusqu’à l’étiquette en papier, fragile numéro livré aux intempéries.
Qui dit humble chalet ne dit pas forcément humble demeure en arrière-plan, comme nous le voyons ici : les frontons et la taille artistique des arbres indiquent un milieu bourgeois (oubliez ce cageot, voulez-vous).
Je profite de l’occasion pour préciser que, bien souvent, le Chalet du Nord est un syndrome contagieux : l’on peut en trouver deux ou trois dans une même rue. Ainsi le chalet ci-dessous est-il voisin du chalet ci-dessus.
Vous aurez noté la façade pentagonale de ce dernier spécimen. Il est intéressant d’observer que c’est la forme que revêt le Chalet du Nord dans une fraction de l’imaginaire collectif local ; cette tendance s’accompagne toujours (quelques conclusions qu’il faille en tirer) d’une élégante sobriété. Jugez par vous-même :
Ci-dessous, le Chalet du Nord est monté sur la margelle d’un puits ornemental dont la rusticité contraste avec ses lignes pures.
Il côtoie ici une pompe à eau également ornementale (je l’ai essayée, elle n’est pas alimentée – je le vérifie toujours quand je tombe sur ce type d’équipement au fil de mes courses à pied, ce qui m’oblige à des arrêts fréquents dans la métropole lilloise du vingt-et-unième siècle), ainsi qu’un bas-relief, éléments qui semblent indiquer un goût pour les belles choses à l’ancienne.
La sobriété peut aussi être contrebalancée par un goût du mignon, dirons-nous ; le mot n’est sans doute pas satisfaisant mais ces choses sont parfois d’une subtilité presque insaisissable. Voici une image pour compenser mon manque de précision.
De nombreux Chalets du Nord, à l’inverse des précédents, sont ce qu’il convient d’appeler des chalets remarquables. Ci-dessous, mon préféré – parce qu’il recoupe une autre catégorie de mon étude Kitsch et lutte des classes : celle des Mickey du Nord. Je dois cependant partager avec vous la grande tristesse que j’ai ressentie cette année, quand les propriétaires et (a priori) artisans de ce chalet du Nord l’ont repeint en blanc.
Maintenant, nous voici à la montagne ; le Chalet du Nord entre dans un ensemble cohérent dont l’effet est de soulever des Yodel-ay-ee-oooo dans nos poitrines et euh, dans nos têtes puisque le yodel consiste à passer de voix de poitrine à voix de tête avec une rapidité virtuose.
Parfois, à l’inverse, le Chalet du Nord s’insère dans un cadre moderne – ici, on se croirait quasiment au motel.
Puisque nous en venons à la question de l’environnement dans lequel trouve place le Chalet du Nord, nous constatons qu’il n’y a pas vraiment de règle. Le milieu peut être populaire ou bourgeois. Cependant, à sa manière, et pour qui sait observer, le Chalet du Nord peu s’avérer un intéressant marqueur social, au même titre que les voitures, les vêtements, la nourriture et l’habitat à proprement parler. Ici, une certaine insouciance…
ici, carrément la bohème…
et là, un goût évident pour la splendeur.
Le Chalet du Nord peut indiquer que son propriétaire a des préoccupations écologiques. Ci-dessous, le Chalet du Nord est en bois et son socle est un tronc d’arbre,
tandis qu’ici, mieux encore, le tronc sert à la fois de socle et de support à sonnette (astucieux !)
Certains socles, en revanche, évoquent le brutalisme architectural.
L’option sans socle (j’allais écrire sans cou) existe aussi, vous vous en doutez : le Chalet du Nord, on le voit bien, est modulable à l’infini !
L’une des raisons pour lesquelles j’ai cessé un jour de photographier les Chalets du Nord, c’est qu’il y en a trop. J’en ai dénombré entre 70 et 80 dans la seule métropole lilloise du vingt-et-unième siècle avant de tout simplement cesser de compter. J’avoue aussi avoir été découragée par la sur-représentation d’un modèle en plastique dont je soupçonne le fournisseur d’avoir pour nom Dadizele. Je me rappelle soudain l’été lointain où mon frère (aujourd’hui un respectable père de famille) brûlait les nains de jardin en plastique ramassés au cours de ses rafles nocturnes dans le bassin minier (nos respectables parents n’en savaient rien, rassurez-vous). Je ne suis pas en train d’inciter au vandalisme, de dire : « Brûlons les Chalets du Nord en plastique », attention. Je veux juste signaler ce qui m’apparaît comme une regrettable dérive dans l’économie (domestique) du Chalet du Nord.
Encore un :
Et là, carrément deux ! (Encore une preuve du phénomène de contagion qui entoure le Chalet du Nord.)
Certains propriétaires posent des chalets en plastique sur des colonnes en pierre véritable, pour atténuer un peu le côté industriel de la chose.
Ou alors ils lui adjoignent un autre objet de décoration, sauvant la facilité de la proposition plastique par une mise en scène d’éléments rustiques. Ici, par exemple, avec un godillot ornemental.
Plus ambitieux, ce mélange d’exotismes – puisque vous devinez au premier plan le tronc d’un vigoureux palmier. Cette vision est un véritable yodel en Californie ! (Pour une étude approfondie du Chalet de Californie, voir L’appel de la montagne : Chalets de Californie.)
Le plus dommage, c’est encore quand une authentique maison de campagne (nous sommes ici entre deux champs) opte pour un modèle industriel. Un foisonnement de statuettes et moulins, de l’autre côté des grilles (sur lesquelles vous noterez des têtes de cheval du meilleur goût), l’honnêteté me force à le reconnaître, viennent contrebalancer cette médiocrité épistolaire du Nord – je profite de l’occasion pour proposer un sens supplémentaire au mot épistolaire.
Assimilés :
a. Puits ornementaux
avec chaudron sans verdure (+ pompe à eau manuelle apparemment alimentée – !!!!!!! – en arrière-plan)
avec poulie (presque un vrai !)
+ âne bâté + Tweedledum (ou Tweedledee ?) et lutin caché derrière ce dernier
propriété de la villa Chantalouette, avec chaudron verdoyant
vide-poches
b. Sabots de façade
un seul exemple parmi des centaines
c. Moulins domestiques
– de fenêtre
– d’extérieur
+ Mickey
bien servi
Et puis il y a des maisons qui ont presque tout :
le Chalet du Nord,
le puits
et la pompe à eau manuelle ornementale (une parmi les milliers que compte la métropole lilloise, sans qu’une goutte d’eau ait été gaspillée)