Ce matin, je renonce à courir pour faire les courses au Petit Casino de la rue Lanoy. J’aime beaucoup ce moment, qui me rappelle les trois premiers mois de ma vie lensoise (j’aurai bientôt vécu autant de temps confinée que libre dans ma ville d’adoption) – sauf pour les gants, le masque et le paravent de cellophane autour de la caisse. Sur le trottoir, devant le magasin,
Le gant du jour
est si sale qu’il semble traîner là depuis des mois. Les gants, on le voit, ne vieillissent pas bien.
Puis je me remets à mon texte en cours d’écriture et, en chemin, me perds agréablement dans la documentation. Je me penche notamment sur les ombellifères, mais je n’arrive pas à trouver le nom de la variété qui couvre la plus grande partie de mon terril / spot de lapins (dont je dévoilerai le nom et la localisation à la fin du confinement parce que je suis devenue, c’est officiel, complètement paranoïaque). Avant ouverture, elles ressemblent à ça :
Je perds mon latin à force de chercher leur nom : j’ai pensé à angelica sylvestris (l’angélique sauvage) mais les tiges (de mon herbe) me semblent trop charnues.
Le conseil lecture du jour
Il y a ici une étude très complète des ombellifères (Apiaceae) de la Belgique et des régions voisines. C’est passionnant mais je n’ai pas le temps de lire ses 286 pages, aussi je vous saurais gré de le faire et de m’envoyer le nom de cette plante quand vous l’aurez trouvé (il n’y a rien à gagner : c’est un conseil lecture, pas un Grand Jeu Concours, c’est moi qui vous divertis et non pas vous qui me rendez service).
La bonne nouvelle du jour
As far as anyone can tell / The sun will rise tomorrow, comme le chantait Sinatra dans son concept album Watertown.
Par ailleurs, il y a une recrudescence de rouges-gorges dans le jardin. Les chats errants se multiplient aussi ; j’en identifie une douzaine à ce jour. Et les escargots sont si gros qu’on peut les regarder dans les yeux.
Le vide du jour
pourrait être l’occasion de faire un exposé sur les différents types d’habitat minier (corons, cités pavillonnaires, cités-jardin et cités modernes) mais je ne suis pas un PDF, d’ailleurs les PDF, j’en ai jusque là aujourd’hui et ce doit aussi être votre cas si, faisant honneur à mon conseil, vous venez de lire l’Étude des ombellifères (Apiaceae) de la Belgique et des régions voisines. N’en parlons plus.
Depuis deux jours, mon amour a divers symptômes du coronavirus, le moindre n’étant pas le trouble neurologique : J’ai pris ce tonneau pour un poney, me disait-elle hier, au spot des lapins. Demain, je l’oblige à consulter un médecin en ligne.
La musique du jour
Un premier extrait du nouvel album de Kaitlyn Aurelia Smith, The Mosaic of Transformation, qui paraîtra le 15 mai
Une promesse de lyrisme assez étonnante pour l’héritière californienne de Suzanne Ciani – autre reine du synthétiseur modulaire Buchla.
Le détritus du jour,
en revanche, est très flippant, particulièrement dans son contexte : il s’agit d’un dispositif en granit noir qui évoque fortement la pierre tombale et dont il a dû être très difficile de hisser les divers éléments jusqu’au sommet de mon terril secret, l’endroit n’étant pas accessible aux véhicules motorisés et haut d’une cinquantaine de mètres.
Dans le bois en contrebas, nous avons trouvé un chemin sans issue, coincé entre une paroi rocheuse et un taillis épais, au fond duquel est installée une espèce d’habitation pour film d’horreur, à moins que ce ne soit un atelier sauvage (mais un atelier de quoi ?) avec des outils et toutes sortes de matériaux sales entassés de manière anarchique – bois, brique, ardoise, tôle, etc. Mon amour pense qu’il y avait du sang mais je pense qu’il s’agit d’autre chose. Je ne sais pas. De la poudre de brique, sans doute. Nous avons battu en retraite aussi vite que nous l’avons pu et la seule photo que j’aie prise de l’endroit est floue parce que je tremblais.
(Ça se passe quelque part là-dedans.)
Ce soir, avant de nous endormir, nous nous remémorons ce que nous avons vu et perçu là-bas, et la terreur nous gagne. Mon amour m’interdit d’employer l’expression « paroi rocheuse », pourtant je ne mentionne pas la mousse d’un vert très sombre qui recouvrait les pierres et ne décris pas mon sentiment d’horreur quand j’ai compris que je ne me trouvais pas dans les ruines d’une gentille cabane mais dans un potentiel guet-apens, une impasse naturelle avec plein de trucs contre-nature dedans, tels qu’un marteau et un seau sur lequel séchait un truc pourpre. Je prie en revanche ma bien-aimée de bannir l’expression « chasse à l’homme » et d’arrêter l’inventaire de tout ce qui pourrait se trouver sous la bâche et dans le sac poubelle au fond à droite.
(C’est là, quelque part. On ne voit pas les dénivelés depuis le satellite, mais sous les arbres il y a une paroi rocheuse pleine de mousse.)
Je revois les différents aspects du site et frémis d’y avoir couru plusieurs fois avec insouciance, et d’y avoir amené mon amour – qui, m’assure-t-elle maintenant, n’a cessé de regarder derrière nous, tout le temps que nous nous y sommes promenées tout à l’heure (moins d’une heure, bien sûr), tant l’endroit lui faisait peur. Je décide d’envoyer les coordonnées du lieu et ma photo floue à la police. Demain. En sept ans d’arrière-mondes variés, jamais je n’ai vu un truc aussi inquiétant – pourtant j’ai déjà eu quelques frayeurs.
Mon relevé du jour
Lapin(s) : 0
Joggeur(s) : 0
Mails, SMS et appels de travail : 1
Contrôle(s) de police : 0
Douche : Non